Les États-Unis ont annoncé le jeudi 20 juin leur retrait du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Pourquoi s’en retirent-ils et surtout quelles conséquences majeures cela peut-il avoir sur les relations internationales ?

Décryptage par Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Rennes 1, Co-Directeur du M2 « Affaires internationales au local »

« Ce retrait n’arrêtera en rien l’adoption de résolutions avec lesquelles les Etats-Unis sont en désaccord »

Qu’est-ce que le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies ?

Le Conseil des Droits de l’Homme (CDH) est un organe subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations unies, créé par celle-ci en 2006 et qui siège à Genève. Il est composé des représentants de 47 Etats membres, élus par l’Assemblée générale suivant le principe d’une répartition géographique équitable, pour des mandats de trois ans renouvelables une fois.

En vertu de la résolution 60/251 qui l’institue, il est chargé « de promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, pour tous, sans distinction aucune et de façon juste et équitable ». Pour ce faire, sa mission est d’« examiner les violations des droits de l’homme, notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques » et de « faire des recommandations à leur sujet ». Le texte ajoute que le Conseil « s’emploiera également à ce que les activités du système des Nations unies relatives aux droits de l’homme soient bien coordonnées et à ce que la question des droits de l’homme soit prise en compte systématiquement par tous les organismes du système ». Ces missions sont accomplies, notamment, grâce à quatre mécanismes : L’examen périodique universel (EPU), à l’occasion duquel la situation et les réalisations de chacun des Etats membres en matière de droits de l’Homme sont passées en revue par le Conseil. Celui-ci émet, à cette occasion, des recommandations aux Etats, en vue d’améliorer le respect de ces droits ; Le comité consultatif, groupe de 18 experts siégeant deux fois par an et qui est présenté comme un « laboratoire d’idées » pour le Conseil. Il n’adopte ni résolutions, ni décisions, mais peut faire de recommandations au Conseil lui-même ; Les procédures spéciales, qui consistent principalement en la nomination d’experts indépendants chargés d’analyser et de rédiger un rapport, soit sur une thématique ayant trait aux droits de l’homme, soit sur un pays en particulier ; Enfin, la procédure de requête, qui permet à des particuliers, des groupes ou des ONG de saisir le Conseil de violations de droits de l’homme dont ils sont victimes ou dont ils ont connaissance.

Le Conseil peut émettre des rapports et des résolutions, qui n’ont jamais de force juridique contraignante. Il s’agit d’un organe intergouvernemental, dont la fonction est d’abord multilatérale, diplomatique et incitative, plutôt qu’unilatéral, juridique et contraignante.

Dans quel contexte et pourquoi les Etats-Unis s’en retirent-ils ?

Les Etats-Unis, dont la politique internationale depuis l’élection de Donald Trump à la présidence est clairement unilatérale (retrait de l’accord de libre-échange transpacifique, de l’accord de Paris sur le climat, de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, retrait de l’UNESCO, etc.) s’inscrivent dans un contexte de critiques, qui ne sont ni nouvelles ni infondées, à l’égard du CDH.

Il suffit tout d’abord de rappeler que l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, la RDC ou la Chine y siègent – pour ne citer qu’eux – pour comprendre que le mode de composition du CDH n’est pas exempt de tout défaut. C’est l’un des arguments des Etats-Unis pour expliquer leur retrait avant l’échéance de leur mandat, qui devait expirer en 2019. Les Etats-Unis souhaitaient notamment, sans y être parvenus, réformer le CDH de telle manière à ce que les membres ne respectant pas eux-mêmes les droits de l’homme puissent être exclus à la majorité simple (au lieu de la majorité des deux tiers actuellement).

Mais c’est surtout le parti pris supposé du CDH contre Israël qui a été mis en avant par les Etats-Unis pour expliquer leur retrait. Comme l’a noté Nikki Haley, la représentante permanente des Etats-Unis aux Nations unies, lors de l’annonce du retrait de son pays du CDH, celui-ci « a, l’an dernier, adopté cinq résolutions contre Israël – soit davantage que l’ensemble des résolutions adoptées contre la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie ». Plus largement, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a dénoncé à la même occasion l’adoption depuis les débuts des travaux du Conseil d’autant de résolutions contre Israël que contre l’ensemble des autres Etats réunis.

Ces deux biais, incontestables mais difficiles à éviter dans le cadre d’organes intergouvernementaux à vocation universelle, ne doivent pourtant pas masquer les progrès que représente le Conseil par rapport à la Commission des droits de l’Homme, à laquelle il a succédé. Celle-ci était notamment composée de membres élus non par l’Assemblée générale mais par le Conseil économique et social dont elle était un organe. En outre, la contribution du CDH sur certains sujets clefs – migrations, terrorisme, droits des personnes LGBT… – ou ses enquêtes sur certaines situations – Syrie et Yémen notamment – sont régulièrement saluées par les acteurs de la défense des droits de l’homme eux-mêmes.

Quelles sont les conséquences de ce retrait ?

 Les conséquences sont surtout symboliques. Le mandat des Etats-Unis, qui n’ont rejoint l’institution qu’en 2009 sous l’impulsion d’un Barack Obama nobélisé, expirait quoi qu’il en soit en 2019 – même s’il est vrai que les Etats-Unis auraient pu se représenter immédiatement pour un nouveau mandat (les Etats-Unis ont été élus pour les périodes 2009-2012, 2012-2015 puis 2016-2019).

Ce nouveau retrait est donc un coup politique et diplomatique de plus pour l’administration Trump, dont la défiance à l’égard des institutions multilatérales se matérialise désormais à intervalles réguliers. Cela fait certes perdre de sa légitimité au Conseil, qui se trouve ainsi privé de l’un de ses membres les plus – sinon le plus – influents. Mais comme l’a immédiatement rappelé Human Rights Watch après l’annonce du retrait américain, cette décision va également, et peut-être surtout, « mettre les Etats-Unis en marge des initiatives mondiales cruciales pour défendre les droits de l’Homme ». Et ce retrait n’arrêtera en rien – tout au contraire – l’adoption de résolutions avec lesquelles les Etats-Unis sont en désaccord. C’est tout le paradoxe de la politique extérieure américaine actuelle.

Par Thibaut Fleury Graff