Initialement prévue pour le 29 mars dernier, la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne – fruit d’un référendum organisé en juin 2016 – avait déjà été repoussée à deux reprises, au 12 avril puis au 31 octobre 2019, en raison du rejet de l’accord conclu entre Londres et Bruxelles par le Parlement britannique. Le 28 octobre, les Vingt-Sept ont donné leur accord pour un nouveau report flexible au Royaume-Uni fixé au 31 janvier 2020.
Mardi dernier, le Premier ministre a de son côté finalement obtenu l’organisation d’élections qu’il défendait depuis plusieurs semaines qui auront lieu le 12 décembre prochain.

Décryptage par Aurélien Antoine, Professeur de droit à l’Université Jean-Monnet/Saint-Étienne, Directeur de l’observatoire du Brexit.

« La tenue d’élections conduira les partis à soumettre aux citoyens leur stratégie pour le Brexit de façon bien plus précise qu’en 2017 »

En quoi consiste ce troisième report et s’agit-il d’une nouvelle concession de l’Union européenne ?

Le 28 octobre, les 27 États membres ont accepté un report flexible de la date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le mécanisme retenu prévoit que le Brexit surviendra le 31 janvier 2020 à 24 h au plus tard. Si, avant cette échéance, le Parlement britannique a accompli toutes les formalités juridiques pour valider et incorporer le traité conclu entre l’UE et le Gouvernement dirigé par Boris Johnson le 17 octobre, le départ britannique pourra intervenir avant la date butoir.

Pour un certain nombre d’observateurs, ce report serait un recul de l’Union européenne qui céderait face à l’incapacité des institutions britanniques à convenir des modalités du Brexit. Les 27 auraient effectivement pu fixer une date de report plus précoce afin de faire en sorte que le nouvel accord soit rapidement confirmé. La date du 15 novembre a été évoquée, car elle aurait été suffisante en principe pour que la législation incorporant le deal en droit britannique (le Withdrawal Agreement Bill), puis son approbation formelle soient adoptées.

Toutefois, ce choix n’a pas été fait pour trois raisons. Tout d’abord, les membres de la Chambre des Communes ayant fait preuve jusque-là d’une imagination débordante pour retarder le Brexit, un report de quinze jours seulement aurait ravivé les spéculations autour du no deal. Ensuite, l’Union européenne se refuse depuis le début des négociations à endosser une sortie désordonnée du Royaume-Uni. Enfin, il convient de prendre en compte un courant minoritaire, mais fort au sein de l’UE bénéficiant de relais à Westminster, qui table sur l’échec du Brexit.

Chaque report est du temps gagné pour ceux qui promeuvent un retour en arrière, notamment par l’organisation d’un nouveau référendum qui demanderait plusieurs mois. Ce lobbying anti-Brexit s’est déployé sur de nombreux fronts (politiques et juridictionnels) et il paraît plus que probable qu’il ait tiré parti des divisions à Westminster pour retarder le Brexit alors que Boris Johnson semblait disposer d’une majorité soutenant le traité de sortie.

L’accord conclu par Boris Johnson est-il compromis par ce report ?

À la suite de l’échec de l’adoption de l’accord arraché par Boris Johnson le 19 octobre, le Speaker des Communes John Bercow a valablement jugé qu’il n’était pas possible de le remettre aux voix sans changements substantiels ou de circonstances. Cette difficulté n’a pas empêché les MPs (membres du Parlement) de consentir à l’examen du projet de loi de transposition de l’accord en droit interne, sans qu’ils acceptent pour autant l’agenda particulièrement restrictif qu’avait retenu le Gouvernement pour parvenir à son assentiment définitif avant le 31 octobre.

Par conséquent, il existe bien une majorité potentielle en faveur d’un deal qui n’est pas mort-né, mais plutôt en « standby » (en suspens). Cependant, en raison de l’absence de majorité aux Communes, la délibération parlementaire sur le Withdrawal Agreement Bill aurait été certainement longue pour durer peut-être au-delà même du 31 janvier 2020. Désavoué à plusieurs reprises par les MPs, mais manifestement suivi par une partie importante des citoyens, Boris Johnson ne cesse d’en appeler à un retour au verdict des urnes. La dissolution du Parlement ne peut être décidée par le Premier ministre seul. En vertu du Fixed-Term Parliaments Act de 2011 (FTPA), 434 députés sur 650 doivent la soutenir. Les profondes divisions qui traversent les Communes sont telles que ce seuil ne peut être atteint.

Le blocage actuel est l’occasion de constater à quel point le FTPA est pernicieux. Dans un régime parlementaire, la dissolution est l’un des moyens de trouver une issue à une crise qui oppose le Gouvernement au Parlement (la seconde option est que la chambre basse soutienne une autre équipe ministérielle). La loi de 2011, en imposant au Gouvernement d’obtenir le consentement des deux tiers des MPs pour parvenir à la dissolution, dévoie le parlementarisme britannique. Elle ne permet le recours à la dissolution – en principe justifié par des circonstances de crise – qu’en présence d’un consensus large entre l’Exécutif et les différentes factions du Parlement. Or, par définition, ce consensus ne peut être trouvé en période de crise.

Cet épisode du feuilleton du Brexit permet de comprendre qu’une norme écrite n’est pas la garantie d’un meilleur fonctionnement des institutions. Si les usages politiques anciens avaient prévalu, la menace d’une dissolution maîtrisée par le Premier ministre aurait peut-être conduit les parlementaires à être plus constructifs ; et en cas de blocage persistant, la dissolution serait intervenue beaucoup plus tôt, économisant ainsi un temps précieux.

Que faut-il espérer des élections qui se dérouleront le 12 décembre prochain ?

Pour contourner les effets pervers de la majorité qualifiée exigée par le FTPA, Boris Johnson est passé par la voie législative classique, c’est-à-dire l’adoption d’un projet de loi à la majorité simple. Comme le Parlement est souverain, rien ne l’empêche de remettre en cause, même temporairement, un précédent texte. Le Premier ministre est finalement parvenu à ses fins : le Early Parliamentary General Election bill a été plébiscité par 438 MPs contre 20.

La tenue d’élections était souhaitable. Elle conduira les partis à soumettre aux citoyens leur stratégie pour le Brexit de façon bien plus précise qu’à l’occasion du précédent scrutin, en 2017. Boris Johnson soutiendra naturellement l’accord qu’il a obtenu de Bruxelles. À cet égard, il apparaîtra en position de force par rapport à ses adversaires travaillistes dont la ligne politique est des plus erratiques. Les libéraux démocrates et les nationalistes écossais, plus cohérents, proposeront la révocation du Brexit. Cette clarification ne signifie pas pour autant qu’une majorité absolue se dessinera avec certitude car les élections générales ne portent pas sur une seule question. C’est la raison pour laquelle quelques ministres se sont déclarés hostiles à des élections et que plusieurs parlementaires préféreraient un référendum sur l’accord. Néanmoins, le scrutin prévu est conforme à la logique institutionnelle et conduit à prendre un risque mesuré.

Les Britanniques en ont manifestement assez de cette saga du Brexit qui empêche que des sujets qu’ils considèrent comme prioritaires ne soient traités. Dès lors, s’ils donnent une majorité à Boris Johnson, nous pouvons être à peu près certains que le Brexit aura lieu le 31 janvier 2020 au plus tard. C’est l’issue la plus souhaitable : le vote du 23 juin 2016 aura été confirmé et la négociation du futur accord commercial entre le Royaume-Uni et l’UE pourra enfin se concrétiser.

Pour aller plus loin :

Par Aurélien Antoine.