Le 15 mai prochain, la commission des Lois étudiera la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale (RAN) présentée par son président Richard Ferrand. La discussion publique en séance est programmée pour les 27, 28 et 29 mai 2019.

Décryptage par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux (2016-2017), maître de conférences HDR en droit public, Université de Brest (Lab-LEX), ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale (2012-2016).

« L’illusion est de croire que les textes suffisent à améliorer les méthodes de travail des assemblées »

Quel est le contenu et l’intérêt de projet de réforme ?

La première curiosité vient du choix du président de l’Assemblée qui propose des évolutions à droit constant sans attendre l’hypothétique révision constitutionnelle ou même une légère adaptation organique. Peut-être partage-t-il le point de vue de Raymond Poincaré qui affirmait sous la IIIe République « Je me passerai d’une réforme constitutionnelle. Que l’on me donne un bon Règlement des Chambres, et cela suffit en fait à modifier la Constitution » ? De fait, le droit parlementaire est souvent un droit coutumier qui peut favoriser l’apparition de pratiques bénéfiques sans avoir besoin d’engager la lourde mécanique constitutionnelle.

Plus classiquement, la réforme poursuit quatre objectifs : améliorer la procédure législative et singulièrement le déroulement de la séance publique, approfondir les droits des groupes d’opposition et minoritaires notamment dans l’exercice de la fonction de contrôle, rénover l’ancestrale procédure du droit de pétition afin qu’elle devienne un moyen effectif pour les citoyens de contribuer aux travaux du Parlement, adapter et renforcer le dispositif de prévention et de traitement des conflits d’intérêt. En cela, elle n’est pas très différente de celles conduites en 2009 par Bernard Accoyer et en 2014 par Claude Bartolone qui poursuivaient peu ou prou les mêmes ambitions. L’exercice est en effet habituel : depuis son adoption initiale le 21 juillet 1959, le RAN a déjà fait l’objet de trente-quatre réformes.

Si les objectifs sont assez classiques, la réforme contient-elle des éléments nouveaux ?

Dans ce domaine, il est extrêmement difficile de surprendre. Et de fait pour l’essentiel, comme le relevait déjà Jean-Éric Gicquel à propos de la réforme de 2009, « on se situe dans une logique de réaménagement, d’approfondissement de prérogatives déjà attribuées ». L’ensemble des mesures existent déjà, leurs modalités sont simplement ajustées : ici on réforme les motions de procédures, là on change les règles sur l’intervention des députés afin d’éviter les prises de parole redondantes, plus loin on encadre différemment la capacité d’amendement.

Mais au-delà de leur détail, il me semble que la démarche du président de l’Assemblée se caractérise par un paradoxe et une illusion.

Le paradoxe tient à l’écart entre les buts recherchés et le système normatif mobilisé pour l’atteindre. Ainsi alors qu’il espère des changements de comportements, le Président de l’Assemblée multiplie les éléments impératifs. Or comme l’explique souvent Pierre Avril « une trop grande précision des textes rigidifie les pratiques et ne ménage pas une indispensable souplesse ».

L’illusion est de croire que les textes suffisent à améliorer les méthodes de travail des assemblées. Les dix dernières années – et les justifications que donne Richard Ferrand à son initiative – démontrent à l’envi que tous les dispositifs coercitifs introduits dans le RAN à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 (réduction des temps de parole, limitation de la capacité d’amendement, encadrement de la durée des débats…) furent des échecs. Par exemple le nombre de jours ouvrés est – législature après législature – en permanente augmentation : 577 juste avant la révision et 597 dans la XIVème législature, de même que celui des séances (1 235 dans les dernières années contre 1 175 dans la législature 1997-2002). Entre le 27 juin 2017 et le 21 mars 2019, les députés ont déjà siégé 271 jours soit une hausse de 20 % par rapport à la précédente législature.

Un tel constat devrait conduire à réorienter les efforts et par exemple questionner l’attitude du pouvoir exécutif. En effet, la critique de l’inflation législative n’a d’égale que l’exigence régulière de l’intervention du législateur convoqué par le gouvernement. Car c’est bien ce dernier qui est le principal initiateur des textes adoptés par le Parlement (74 % lors de la dernière législature).

De même, n’est-ce pas lui qui convoque systématiquement des sessions extraordinaires ? N’est-il pas responsable du dépassement régulier de la limite des 120 jours de la session ordinaire ? Il ne parait donc pas indigne que des parlementaires qui ne sont pas consultés en amont sur ces projets de loi puissent en débattre, parfois même longuement, pour les amodier ou les corriger.

Faut-il s’attendre à une discussion aussi chaotique que celle qui caractérisa la révision constitutionnelle l’an passé ?

Sans doute pas puisque les conditions d’un débat apaisé semblent être réunies. Le texte a été élaboré par un groupe de travail permettant aux différents présidents des groupes politiques d’exprimer leurs positions. Le fait que Richard Ferrand signe seul la résolution ne signifie pas que ses interlocuteurs s’y opposent. Il faudra cependant observer la réaction du groupe LREM. Il n’est jamais acquis qu’une majorité résiste par principe à la tentation d’imposer un texte qui serve d’abord ses propres intérêts. Partant, il est étonnant de constater que la présidente de la commission des lois n’a pas été choisie pour assumer la responsabilité de rapporteur de la résolution.
De Marcel Sanmarcelli en 1961 à Jean-Luc Warsmann en 2009, en passant par Jean Foyer en 1980, Michel Sapin en 1990 et Philippe Houillon en 2005, il s’agissait pourtant d’une tradition dont le respect compta pour beaucoup dans l’adoption finale du texte.

 

Pour aller plus loin :

Par Jean-Jacques Urvoas.