Le 19 mars dernier, le sénateur Jérôme Durain et les membres du groupe socialiste ont déposé une proposition de loi visant à introduire dans le Code pénal, la répression des crimes contre l’environnement et plus précisément à reconnaître l’écocide.
Le 2 mai, cette dernière a été rejetée en première lecture par les sénateurs.

Décryptage par  Sébastien Mabile, professeur à Sciences Po et à la faculté d’Aix-en-Provence, membre de la commission environnement du Club des Juristes.

« Le Sénat a estimé que la qualification ne répondait pas à l’objectif de précision et de clarté de la loi pénale, considérant par ailleurs que la France disposait déjà d’un arsenal législatif très complet »

Qu’est-ce le crime d’écocide ?

Le terme d’écocide a été utilisé pour la première en 1970 par Arthur Galston, botaniste de l’Université de Yale, dont les recherches avaient permis de développer l’agent orange, herbicide déversé massivement par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Lors de la Conférence de Stockholm sur l’environnement en 1972, le Premier ministre suédois utilisera également ce terme pour qualifier les agissements américains. Le mot est construit à partir du préfixe « éco », dérivé du grec « oikos » qui signifie « la maison » et du suffixe « cide », dérivé du latin « caedo » qui signifie « tuer ». Dans les années 1990, certains Etats introduiront le crime d’écocide au sein de leur législation parmi lesquels des pays de l’ex-URSS ou encore le Vietnam. Cette notion a ensuite été discutée par la Commission du droit international chargée de préparer le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté en 2002. Le crime d’écocide ne sera toutefois pas retenu parmi les crimes relevant de la compétence de la Cour qui peut cependant juger les auteurs d’un crime de guerre par attaque délibérée de l’environnement.

À partir des années 2010, et sous l’impulsion de juristes français (Valérie Cabanes, Laurent Neyret) ou étrangers (Polly Higgins), les appels à reconnaître le crime d’écocide au niveau international ou national se sont multipliés. Une initiative citoyenne européenne a été lancée en 2013 afin de le consacrer à l’échelle de l’Union européenne. En 2015, un projet de Convention contre l’écocide, élaboré par un groupe de juristes sous la direction de Laurent Neyret, définit ce crime comme des « actes intentionnels commis dans le cadre d’une action généralisée ou systématique et qui portent atteinte à la sûreté de la planète ». L’année suivante, la juriste Valérie Cabanes rédigeait une proposition d’amendement du Statut de Rome pour reconnaître le crime d’écocide, proposition reprise par le Tribunal international Monsanto, dans son avis consultatif du 28 avril 2017. Celui-ci entendait l’écocide « comme le fait de porter une atteinte grave à l’environnement ou de détruire celui-ci de manière à altérer de façon grave et durable le bien commun et les services écosystémiques dont dépendent certains groupes d’humains ».

Enfin, pas plus tard que le 30 avril 2019, une vingtaine de militants écologistes envahissait le bâtiment de la Cour pénale internationale à La Haye afin de demander à ses 122 États membres de reconnaître l’écocide en tant que 5ème crime contre la Paix. C’est dans ce contexte, et s’inspirant de ces travaux, que Jérôme Durain et d’autres sénateurs socialistes ont soumis au Sénat une proposition de loi visant à reconnaître le crime d’écocide dans le droit français.

Pourquoi la proposition de loi visant à punir l’écocide a-t-elle été rejetée ?

La proposition de loi prévoyait d’introduire un nouveau livre dans le Code pénal relatif aux « crimes contre l’environnement » au sein duquel l’écocide était défini comme « le fait, en exécution d’une action concertée, tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ». Les parlementaires prévoyaient de punir le crime d’écocide d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende.

La provocation suivie d’effet au crime d’écocide était punie de la même peine. Le texte prévoyait également une série de peines complémentaires, allant de l’interdiction des droits civiques et civils à la confiscation des biens des auteurs. Enfin, à l’instar du génocide et des autres crimes contre l’humanité, les sénateurs proposaient que le crime d’écocide soit imprescriptible.

La proposition de loi a été rejetée en première lecture par le Sénat le 2 mai 2019 et ne sera donc pas débattue à l’Assemblée nationale. La commission des lois du Sénat a estimé que la qualification ne répondait pas à l’objectif de précision et de clarté de la loi pénale, considérant par ailleurs que la France disposait déjà d’un arsenal législatif très complet. Plusieurs sénateurs ont également jugé que ce crime, au regard de sa dimension transfrontalière, devait être prioritairement défini à un niveau supra national. Brune Poirson, représentant le Gouvernement, a estimé que ce texte était « relativement flou sur certains points, source d’insécurité juridique », tout en restant ouverte « à la poursuite des réflexions sur le renforcement du dispositif pénal en alourdissant les peines liées aux crimes existants ou en faisant avancer la notion d’écocide au niveau mondial. »

Une proposition à l’échelle européenne serait-elle envisageable ?

Une proposition à l’échelle européenne est en l’état difficilement envisageable, la détermination des incriminations pénales relevant essentiellement de l’échelon national. Une directive sur la protection de l’environnement par le droit pénal a toutefois été adoptée en 2008. Elle définit un ensemble de comportements répréhensibles en matière environnementale, invitant les États membres à les hisser au rang d’infractions en adoptant des sanctions pénales « effectives, proportionnées et dissuasives ». L’article 83 du Traité de Lisbonne sur le Fonctionnement de l’Union européenne permet certes « d’établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes. »

Cependant, parmi les « domaines de criminalité concernés » visés dans le Traité ne figure pas la criminalité environnementale. « En fonction des développements de la criminalité », le Conseil pourrait considérer, en statuant à l’unanimité après approbation du Parlement européen, que la criminalité environnementale remplirait les critères visés à l’article 83 du TFUE et ouvrir la voie à une harmonisation dans ce domaine, pouvant inclure une reconnaissance du crime d’écocide à l’échelle européenne.

Pour aller plus loin :

Par Sébastien Mabile.