Le Canard enchaîné a révélé le 3 juillet que Raymond Barre aurait caché environ 11 millions de francs suisses de l’autre côté des Alpes. La justice française avait ouvert une information judiciaire depuis le 29 avril 2016 concernant de soupçons de blanchiment de fraude fiscale visant de l’argent dissimulé en Suisse par Raymond Barre, ancien Premier ministre de la France.

Décryptage par Stéphane Detraz, enseignant-chercheur à Université Paris Sud (Paris Saclay), faculté Jean Monnet, IDEP.

« Le Ministère public ne peut poursuivre en justice les délits de fraude fiscale punis d’emprisonnement et d’amende qu’à la condition que l’Administration fiscale porte plainte ou dénonce les faits de fraude »

Ces investigations ont démarré à la suite d’un signalement de la Direction générale des finances publiques. Qu’est-ce que le DGFI ? Quel est son rôle ?

La Direction générale des finances publiques (DGFiP) n’est autre que l’Administration fiscale. C’est elle qui est chargée d’établir et de recouvrer la plupart des impôts (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, taxe sur la valeur ajoutée, etc.). Il lui appartient également, à cette fin, d’opérer les contrôles destinés à s’assurer du respect de la législation fiscale par les contribuables et, en cas de manquement, d’appliquer elle-même les pénalités fiscales prévues par la loi.

La DGFiP peut ou doit également collaborer avec l’autorité judiciaire, de deux façons. D’une part, le Ministère public ne peut poursuivre en justice les délits de fraude fiscale punis d’emprisonnement et d’amende qu’à la condition que l’Administration fiscale porte plainte (ce qui est facultatif pour elle) ou dénonce les faits de fraude (ce qui est obligatoire, pour les fraudes majeures, depuis 2018). D’autre part, les agents du fisc peuvent communiquer au ministère public des renseignements normalement couverts par le secret professionnel, relatifs à un crime ou un délit. Ainsi, lorsque, à l’occasion des contrôles fiscaux qu’ils opèrent, les fonctionnaires de l’Administration mettent au jour des éléments accréditant l’existence d’une infraction pénale (que ce soit une fraude fiscale ou une autre infraction), ils ont la faculté, voire l’obligation, de le signaler au parquet. Ils peuvent aussi lui communiquer les renseignements que leur apportent des particuliers. Or, il est rare qu’une fraude fiscale ne soit pas suivie, concernant les sommes économisées ou acquises grâce à la fraude, d’un acte de blanchiment. Le délit de blanchiment peut en effet être l’œuvre du fraudeur lui-même et consister, en tout et pour tout, à dissimuler les fonds, par exemple en les versant sur un compte bancaire ouvert à l’étranger et tenu secret.

Pourquoi le Parquet national financier a-t-il été saisi ?

L’expression « Parquet national financier » désigne plus exactement le procureur de la République financier. Il s’agit d’un magistrat du parquet qui est compétent, sur toute l’étendue du territoire, dans le domaine de la délinquance financière grave ou complexe. Sa compétence peut tout particulièrement être exercée à l’égard des affaires de fraude fiscale, mais uniquement lorsque cette dernière est commise en bande organisée ou au moyen de procédés suffisamment élaborés, par exemple grâce à l’ouverture de comptes bancaires auprès d’organismes établis à l’étranger. Le procureur de la République financier est également compétent pour le blanchiment de fonds issus d’un tel type de fraude fiscale, ainsi que pour les infractions connexes audit blanchiment, tels des faits de recel. À de rares exceptions près, la compétence du procureur de la République financier s’ajoute à celle du procureur de la République « ordinaire », sans l’exclure.

L’Administration fiscale peut donc communiquer les informations relatives à des faits de blanchiment de fraude fiscale au Parquet national financier  si elle estime que les caractéristiques de la fraude le permettent. Une fois saisi, le procureur de la République financier peut diligenter une enquête, faire ouvrir une information judiciaire (notamment lorsqu’il est nécessaire d’accomplir des investigations « poussées », le cas échéant à l’étranger) ou saisir directement une juridiction de jugement.

Si le blanchiment de fraude fiscale est confirmé par la justice, quelles seraient les conséquences ? Que risquent ses héritiers ?

Le délit de blanchiment est en principe puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende (article 324-1 du Code pénal) ; mais le montant de l’amende peut être porté jusqu’à la moitié de la valeur des fonds blanchis. La confiscation des fonds blanchis peut également être ordonnée. Toutefois, les personnes décédées ne peuvent être poursuivies, ni par conséquent leurs infractions être établies en justice à leur encontre. Leurs héritiers ne peuvent non plus être condamnés à leur place, serait-ce à une peine d’amende ou de confiscation.

Pour autant, les héritiers de l’auteur défunt d’une infraction peuvent eux-mêmes, dans certaines hypothèses et à certaines conditions, se rendre coupables de faits délictueux, à raison de la persistance ou du renouvellement de la situation infractionnelle préexistante. Si le délit initial est un blanchiment, il est ainsi possible que les héritiers commettent à leur tour une telle infraction, en réalisant une opération de placement, dissimulation ou conversion sur les sommes d’argent litigieuses. Le délit de recel peut également être caractérisé, puisqu’il consiste semblablement à dissimuler, détenir ou transmettre une chose (y compris des fonds) provenant d’une infraction. Dans les deux cas, il est cependant nécessaire que les agissements soient accomplis intentionnellement, c’est-à-dire en connaissance de l’origine illicite des fonds que l’on blanchit ou recèle. Par ailleurs, le délit de fraude fiscale n’est pas à exclure, car commet cette infraction la personne qui ne déclare pas à l’Administration les sommes sujettes à l’impôt qu’il perçoit, tels que des revenus de capitaux mobiliers ; une régularisation opérée sur le plan fiscal auprès de l’Administration ne fait d’ailleurs pas en soi obstacle à la répression pénale de la fraude.

Il est enfin à noter que le succès d’une procédure pénale engagée pour de tels faits suppose que l’action publique ne soit pas prescrite, le délai de prescription étant de six ans pour les délits depuis 2017. Mais le point de départ de l’écoulement de ce délai n’est fixé qu’au jour où prend fin l’activité délictueuse considérée, lorsque l’infraction est susceptible de se prolonger dans le temps (c’est notamment le cas du recel). Il peut en outre être décalé jusqu’au jour où les actes délictueux, réalisés de manière occulte, sont susceptibles d’être découverts par les autorités de poursuite (règle qui vaut pour le recel et le blanchiment).

Pour aller plus loin :

Par Stéphane Detraz.