Le Royaume-Uni a déchu de sa nationalité, Shamina Begum, partie rejoindre Daesh. Le Bangladesh, dont ses parents sont originaires, refuse de l’accueillir et affirme qu’elle n’a pas la double nationalité. Une situation d’apatridie qui pose problème et qui a amené la jeune femme à appeler les autorités à réévaluer sa situation.

Décryptage par Sabrina Robert-Cuendet, Professeur de droit public à l’Université Le Mans.

« Le droit international consacre un principe selon lequel les États doivent éviter l’apatridie. »

Quelles sont les conditions requises pour la procédure de déchéance de nationalité en France?

En France, les conditions dans lesquelles l’État peut déchoir une personne de sa nationalité sont posées par le Code civil. Elles concernent d’abord le statut de la personne. D’une part, ne peut être déchu de sa nationalité qu’un individu qui a acquis la qualité de Français (par la voie de la naturalisation notamment). La déchéance de nationalité ne peut s’appliquer à un Français d’origine. D’autre part, un individu ne peut être déchu de sa nationalité française si cela a pour conséquence de le rendre apatride. Autrement dit, la déchéance ne peut frapper que des personnes pouvant se prévaloir d’une autre nationalité.

Le Code civil énumère également les faits pour lesquels un individu peut être déchu de sa nationalité. Soit celui-ci a été condamné pour un crime ou un délit qui porte atteinte aux intérêts essentiels de l’État, soit il s’est livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. Les actes de terrorisme entrent dans la première hypothèse. La déchéance de nationalité ne peut donc intervenir qu’après que l’individu a été jugé et condamné pour les faits qui lui sont reprochés.

Au regard de la situation des djihadistes actuellement détenus par les Kurdes dans la zone Irako-Syrienne, le droit français ne permettrait pas les déchéances de nationalité « préventives ». En revanche, la déchéance de nationalité décidée par le Royaume-Uni à l’égard de Shamima Begum n’est pas nécessairement illégale de ce point de vue. La législation britannique permet de procéder à la déchéance de nationalité d’une personne dont la conduite a été gravement préjudiciable aux intérêts de l’État, mais sans exiger de condamnation préalable (Immigration Act de 2014).

En plus des conditions posées par le droit interne, qui peuvent donc différer d’un État à un autre, la déchéance de nationalité est aussi encadrée par des normes de droit international et de droit européen qui s’appliquent à la France.

Pour l’essentiel, il ressort de ces normes que la déchéance de nationalité ne doit pas être arbitraire, qu’elle doit être proportionnée, et qu’elle doit être décidée à l’issue d’une procédure au cours de laquelle la personne concernée a eu la possibilité de faire entendre sa cause (avec notamment un droit de recours contre la décision de déchéance).

Le Royaume-Uni a déchu Shamima Begum de sa nationalité et le Bangladesh, dont sont originaires ses parents, refusent de l’accueillir. Quel est le statut de l’apatride ? N’est-ce pas contraire au droit international ?

Un apatride est une personne qu’aucun État ne considère comme un ressortissant par application de sa législation. Les apatrides ne bénéficient donc pas de la protection, à laquelle a normalement droit tout individu, qui découle du lien de sujétion à l’État. Pour ces personnes, particulièrement vulnérables, il est nécessaire de mettre en place une protection de substitution. C’est la Convention relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954 qui pose le cadre de cette protection. Elle a été ratifiée par plus de quatre-vingts États, dont la France. Elle vise à faire en sorte que les apatrides bénéficient d’un minimum de droits fondamentaux. La Convention prévoit ainsi que les apatrides jouissent des mêmes droits que les citoyens en matière de liberté de religion et d’éducation de leurs enfants. Pour d’autres droits, elle prévoit que les apatrides doivent bénéficier d’un traitement au moins égal à celui accordé à d’autres étrangers. En outre, leur expulsion ne peut être décidée que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.

Toutefois, il n’y a pas, en droit international général, de règle qui interdise purement et simplement l’apatridie. La Convention des Nations Unies sur la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961 reconnaît certaines hypothèses de déchéance de nationalité qui peuvent entrainer l’apatridie (par exemple lorsqu’au moment d’adhérer à la convention, un État déclare maintenir sa législation antérieure permettant la déchéance pour manquement au devoir de loyauté). La Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997, pour sa part, interdit les déchéances de nationalité qui aboutissent à l’apatridie (à l’exclusion du retrait d’une nationalité obtenue frauduleusement). Mais cette convention ne lie qu’une vingtaine d’États, à l’exclusion de la France et du Royaume-Uni.

Si certaines conventions empêchent la création de l’apatridie, les pays liés par de telles conventions pourraient-ils être contraints de « rendre » la nationalité à un individu qui en a été déchu?

Le droit international consacre, tout au plus, un principe selon lequel les États doivent éviter l’apatridie. Par conséquent, envisager cette hypothèse suppose d’abord que l’État concerné soit lié par une convention internationale interdisant la déchéance emportant apatridie. Mais à supposer que cela soit établi, le rétablissement dans la nationalité est très peu probable. On voit mal qui (un autre État ? une organisation internationale ?) pourrait engager une action (devant qui ?) en ce sens. On voit mal surtout un État accepter une telle ingérence dans l’exercice de ses pouvoirs.

On peut souligner que si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne traite pas directement du droit à la nationalité, la Cour de Strasbourg a considéré que la déchéance de nationalité pouvait interférer avec le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8. La Cour pourrait alors être amenée à considérer qu’une déchéance de nationalité entraînant l’apatridie constitue une sanction disproportionnée au regard, par exemple, des conséquences qu’elle emporte sur les membres de la famille de la personne déchue. Ici, l’État pourrait être condamné pour violation de la CEDH. Mais alors, en principe, il reste libre des moyens à mettre en œuvre pour remédier à cette violation.

Pour aller plus loin :

par Sabrina Robert-Cuendet