Jean-Paul Delevoye, chargé de préparer la réforme des retraites, a présenté son projet le 23 juillet dernier au Gouvernement. Interrogée sur BFMTV sur la réforme des retraites, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a confirmé le mercredi 21 août dernier la tenue d’une « consultation citoyenne » sur ce sujet.

Décryptage par Francis Kessler, Maître de Conférences, École de droit de la Sorbonne, Directeur du master droit de la protection sociale d’Entreprise.

Les régimes existants seront remplacés par un « système universel » et les points transformés en pension mais il reste encore de nombreux arbitrages politiques qui attendent d’être tranchés 

En quoi consiste le système par points et « l’âge d’équilibre » qui sont évoqués dans le Rapport ?

Un système de calcul de retraite au moyen de points consiste en deux opérations effectuées à des moments différents.

La première étape consiste à transformer régulièrement – le plus souvent annuellement – les cotisations versées en points (on parle « d’acquisition de points »). Pour ce faire, on divise lesdites cotisations exprimées en euros par un facteur (dit « prix d’acquisition du point »). On obtient de la sorte des points qui sont cumulés sur un compteur. Le système est un système contributif, le nombre de points reflète a priori les sommes versées au système.

Simple en apparence cette équation suppose de nombreux arbitrages politiques qui sont loin d’être tranchés à l’heure actuelle.

  • Premier arbitrage : qui va fixer ce prix d’acquisition ? Le législateur, le pouvoir règlementaire, une instance d’administration ad hoc?
  • Second arbitrage : quelle va être l’assiette de cotisations retenue comme point de départ de la détermination des points ? Toutes les rémunérations ? Une fraction de celles-ci et si oui laquelle, fixera-t-on un plafond ? Et gardera-t-on toutes les exonérations de cotisations sociales ? Ou alors choisira-t-on une assiette élargie à des revenus autres que celles du travail ?
  • Le troisième arbitrage va être celui des critères de fixation du prix d’acquisition de points : seront-ils liés à la santé financière du régime ? à quel horizon ? En d’autres termes, il convient de définir des règles de pilotage stratégiques et des règles de pilotage conjoncturel.
  • Quatrième arbitrage : comment seront traitées les périodes qui pourraient être sans revenus, sans cotisations ou prélèvement sociaux ? (chômage, maladie, personne qui se consacre à l’éducation des enfants….). En d’autres termes quels éléments de solidarité sont à introduire dans le système (points « gratuits » sans contrepartie de cotisations).

La seconde étape consiste, au moment du départ à la retraite, à transformer les points acquis durant la vie active en euros, donc en pension. Cette transformation se fait en multipliant lesdits points par une valeur du point.  Cette opération suppose plusieurs arbitrages politiques pour devenir effective à l’échelle envisagée. Qui décide (Parlement ?  Gouvernement ? Organisme ad hoc ?) Quels sont les paramètres de fixation de la valeur du point ? Quels paramètres de la revalorisation dans le temps de ces pensions, celles-ci pouvant par nature  être versées sur une période assez longue.  Quid d’éléments de solidarité et en particulier les pensions de réversion prévues ?

« L’âge d’équilibre », qui semble être 64 ans, s’ajouterait à l’âge de départ à la retraite (62 ans en principe aujourd’hui dans le régime général de sécurité sociale) qui est l’âge auquel la personne peut demander le bénéfice de sa pension de retraite.

En introduisant la notion d’âge d’équilibre dans le système, la personne – par exemple un salarié –  peut continuer à demander la liquidation de sa pension à 62 ans mais il voir alors appliquer un abattement (provisoire ou non) d’un certain pourcentage sur le montant de sa retraite. Ce n’est qu’en partant à l’âge d’équilibre que le retraité se verra appliquer le résultat entier de l’équation de calcul. Il induit un choix de l’assuré, « partir plus tôt » avec moins, ou partir à 64 ans avec une pension de base pleine « non-abattue ». Cette mesure touche évidemment davantage les faibles revenus et donc les « petites pensions » qui ne pourront se permettre un abattement. Les hauts revenus pourront mieux supporter une baisse en pourcentage de leurs revenus car ils auront eu le temps de constituer une épargne de compensation.

Quel sera l’avenir des régimes spéciaux ?

Les régimes spéciaux disparaîtront à terme, c’était d’ailleurs là leur vocation initiale lors de la création du régime général de sécurité sociale en 1945. Certains de ces régimes n’ont perdus leur caractère provisoire que lors de la transformation des entreprises publiques dans les années 2000.

Deux questions politiquement très délicates sont toutefois à régler.

La première tient au statut des salariés concernés : leurs droits à la retraite figurent en effet, comme toutes leurs conditions de travail dans un texte législatif particulier qu’il convient dès lors de modifier. Cette modification peut concerner tous les salariés – et il faudra alors inventer des mécanismes de coordination entre l’ancien système et le nouveau ou peut-être des mesures transitoires de garantie de pensions et d’augmentation de l’âge de départ à la retraite et de l’âge d’équilibre – ou alors la réforme ne sera applicable qu’aux « nouveaux entrants », les salariés embauchés (et peut-être ceux avec une petite ancienneté par exemple de moins de 5 ans) au-delà d’une certaine date qui serait alors au régime commun par points les anciens salariés restant au système qui leur a été promis lors de l’embauche.

Cette seconde solution conduirait à ce qu’il y ait deux statuts qui coexisteraient dans l’entreprise pendant un certain temps et surtout au maintien de régimes spéciaux « fermés » pendant 20 à 30 ans encore.

La seconde est relative aux conditions de départ à la retraite : il faudra inventer des mécanismes de coordination entre l’ancien système et le nouveau dispositif et peut-être des mesures transitoires de garantie de pensions et d’augmentation de l’âge de départ à la retraite. De telles réformes sont en cours et il y a eu une augmentation générale de l’âge de départ à la retraite dans de nombreux régimes spéciaux lors des 20 dernières années.

La difficulté majeure viendra probablement de la diversité des régimes spéciaux. Il sera plus facile d’intégrer le régime des fonctionnaires des collectivités territoriales et hospitalières qui connaît une caisse de retraite que celui des fonctionnaires d’État – dont il faudra modifier l’assiette de cotisations sur les primes et pour lequel l’État devra verser une soulte au nouveau régime rendant compte des droits déjà acquis des fonctionnaires. La question délicate des âges de départs (très anticipés) pour les emplois classés en « catégorie active » (policiers, militaires, infirmiers … ) ou pour certains secteurs (Opéra de Paris par exemple). Il y a toute une série de règles à (ré)inventer avec des corps ou des métiers à capacité revendicative forte.

Quel avenir des régimes de retraites des indépendants ?

La problématique des indépendants est autre. Le législateur a, dans les années 1950, permis à chacune des professions indépendantes de créer (ou de conserver pour le cas des avocats) un régime de retraite de base. Le pouvoir réglementaire a autorisé dans les années 1970 à compléter chacun de ces systèmes de base par des régimes complémentaires obligatoires, s’appuyant le plus souvent sur un mécanisme d’acquisition de points mais comportant des choix de financement modulable sur décision individuelle de l’indépendant. La situation financière de ces dispositifs de base et complémentaires est variable compte tenu de la démographie des professions en cause.

Quoi qu’il en soit la réforme imaginée ne peut être que problématique pour ces régimes. Outre l’étatisation de la gouvernance des institutions de gestion, à laquelle les professions en question sont allergiques et qui constituent l’ADN même des caisses de retraite spécifiques autogérées, le principe central de la réforme heurte nécessairement les différentes catégories d’indépendants. Contrairement aux salariés il n’y a par définition pas d’employeur qui cofinance l’acquisition de points. Le slogan cardinal de la réforme d’une même retraite en fonction de l’acquisition de points conduirait en conséquence à ce qu’un indépendant payerait plus cher une retraite d’un même montant que celle d’un salarié. Pour traiter la question le rapport Delevoye propose que « le système universel de retraite tiendra compte de la dégressivité actuelle des cotisations, nécessaire à la préservation du modèle économique des travailleurs indépendants » et  » annonce d’ores et déjà que « Le système s’appliquera très progressivement, avec des rythmes adaptés à la situation de chaque profession ». Les complémentaires obligatoires actuelles des différentes professions seraient supprimées et leurs réserves importantes pour certains régimes mutualisés avec d’autres régimes. Seuls des fonds de pension par capitalisation pourront servir de compléments.

S’y ajoute, la question des micro-entrepreneurs (ex-auto-entrepreneurs), aujourd’hui dispensés de cotisations et qui n’acquièrent pas de droits futurs à retraite. Pour faire face  à cette bombe sociale à retardement il est proposé une possibilité d’opter sur la base du volontariat pour des cotisations minimales au régime universel.

Pour aller plus loin :

Par Francis Kessler