La Ministre de la santé, Agnès Buzyn a annoncé le 30 mai dernier le déremboursement des médicaments visant à traiter la maladie d’Alzheimer à compter du 1er août prochain. Cette décision a provoqué un tollé auprès des familles de personnes atteintes de la maladie et des associations de victimes d’Alzheimer.

Décryptage par Jérôme Peigné, professeur de droit à l’Institut Droit et Santé de l’Université Paris Descartes.

« Entre la pertinence juridique et l’exigence éthique se cache, en réalité, un troisième niveau : la dimension économique de la décision »

Pourquoi le déremboursement des médicaments visant à traiter la maladie d’Alzheimer a-t-il été annoncé ?

La Ministre de la Santé a non seulement annoncé, mais également arrêté (JO du 1er juin), le déremboursement des 4 molécules actuellement indiquées dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer. Sa décision sera effective au 1er aout prochain.

La ministre s’est fondée sur des avis de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS), formulés en 2016 pour les spécialités de référence et réitérés en mars dernier pour des spécialités génériques. Ces avis ont estimé que le service médical rendu (SMR) de ces médicaments était insuffisant. Introduit par un décret du 27 octobre 1999, le SMR est le critère sur le fondement duquel l’autorité ministérielle décide d’inscrire, ou non, un médicament sur la liste des spécialités remboursables par l’assurance maladie. Le Code de la sécurité sociale dispose clairement que les médicaments dont le niveau de SMR est insuffisant au regard des autres thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur cette liste. Il prévoit également que les médicaments inscrits sur la liste peuvent être radiés à tout moment, dès lors que leur SMR a été jugé insuffisant, à la suite d’une réévaluation par la commission de la transparence.

Le SMR repose concrètement sur 5 éléments : l’efficacité du médicament mise en rapport avec sa sécurité, son caractère symptomatique, préventif ou curatif, la gravité de la pathologie dans laquelle il est indiqué, sa place dans la stratégie thérapeutique au regard des autres thérapies disponibles et son intérêt pour la santé publique. A l’origine, le critère de la gravité était essentiel. Mais depuis une dizaine d’années, la performance du médicament est redevenue un critère prépondérant, ce qui explique le déremboursement ou le non-remboursement de spécialités destinées à des pathologies graves (cancers, maladies neurodégénératives…), et pour lesquelles l’apport clinique apparaît limité. Cette nouvelle approche a d’ailleurs été validée par le Conseil d’Etat à propos d            e la décision de ne pas prendre en charge un médicament destiné à traiter le cancer du pancréas métastatique (CE 12 mai 2010, Sté Roche, n° 316859).

Les patients et associations de lutte contre la maladie peuvent-ils s’opposer à un arrêté ministériel comme celui-ci ?

Les avis et les recommandations formulés par la HAS sont en principe dénués de toute autorité juridique, les recommandations de bonne pratique clinique étant toutefois regardées par le Conseil d’Etat comme des actes réglementaires susceptibles de recours pour excès de pouvoir (CE 27 avr. 2011, Assoc. Formindep, n° 334396). Les avis de la commission de la transparence ne font pas grief : ils ne sont donc pas susceptibles d’être directement contestés devant le juge administratif. Ils peuvent cependant l’être à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision ministérielle qui se les approprie (CE 17 nov. 2017, Sté Laboratoire Abbvie, n° 398573).

Les arrêtés relatifs à l’inscription, au renouvellement ou à la radiation de la liste des médicaments remboursables étant considérés comme des actes réglementaires, leur légalité est susceptible d’être contestée devant le Conseil d’Etat (rien n’interdisant d’introduire au préalable un recours gracieux auprès de l’auteur de l’acte).

Les patients, les associations de patients, et même les laboratoires pharmaceutiques, sont donc fondés à introduire un recours en annulation contre de telles décisions de déremboursement (dans les deux mois qui suivent leur publication). Les requérants peuvent également assortir leur recours d’une requête en référé visant à obtenir la suspension de l’exécution de la mesure, ce qui suppose toutefois de justifier une urgence et de démontrer qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de l’acte (CE, réf., 13 juin 2016, Sté Menarini France, n° 399765).

Sur le fond, le contrôle du juge est limité à l’erreur manifeste d’appréciation (CE 6 mai 2016, Sté Rottapharm, n° 388174 : à propos du déremboursement de médicaments anti-arthrosiques). Le Conseil d’Etat ne saurait en effet substituer sa propre appréciation à l’évaluation médico-scientifique de la commission de la transparence, reprise par l’autorité ministérielle. Les annulations contentieuses sont peu fréquentes et, lorsqu’elles existent (CE 19 juillet 2017, Sté Menarini France, n° 399766), elles le sont surtout pour des motifs de légalité externe (vices de forme ou de procédure, insuffisance de motivation).

Cette décision apparaît-elle pertinente au regard des besoins des patients, de leurs familles et des associations qui les soutiennent ?

Il faut distinguer plusieurs niveaux de réponse. Sur un plan juridique, la décision apparaît, en première analyse, pertinente. Elle ne fait qu’appliquer les dispositions législatives et réglementaires du Code de la sécurité sociale, lesquelles subordonnent l’inscription d’un médicament sur la liste des spécialités remboursables à son niveau de SMR. Il reviendra au juge administratif, le cas échéant, de statuer sur le bien-fondé de cette mesure.

Sur un plan humain – et en un sens éthique – on peut comprendre que des patients atteints de pathologies lourdes soient scandalisés de voir que leurs médicaments, fussent-ils à visée essentiellement symptomatique, ne sont plus pris en charge par l’assurance maladie. Les soignants se retrouvent alors dans une situation difficile à expliquer. Or, ce sont eux qui sont en première ligne, avec les familles.

Entre la pertinence juridique et l’exigence éthique se cache, en réalité, un troisième niveau : la dimension économique de la décision. La politique publique du médicament doit aujourd’hui constamment arbitrer entre les entrées et les sorties du panier de soins remboursables. Les innovations pharmaceutiques et les nouvelles technologies médicales étant toujours plus coûteuses, il faut décider de celles qui doivent sortir pour financer celles qui arrivent. C’est bel et bien un choix politique.

Par Jérôme Peigné