Le 27 février dernier, l’irruption de l’État hollandais au sein du capital du groupe aérien Air France-KLM a suscité une vive polémique. Le gouvernement néerlandais a ainsi annoncé avoir racheté des parts d’Air-France KLM et en détenir 14 %.
Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire a aussitôt qualifié l’opération « d’inamicale » et « d’incompréhensible » tout en réitérant ses reproches à La Haye de ne pas avoir prévenu Paris sur ses intentions.

Décryptage par Caroline Coupet, professeur de droit à l’Université de Montpellier.

« L’État néerlandais a annoncé vouloir défendre ses intérêts nationaux. À long terme, l’on pourrait en venir à une situation d’opposition frontale au sein du groupe, entre les deux États »

 

L’État néerlandais avait le droit d’entrer au capital du groupe Air France-KLM. Pourquoi cela suscite-t-il polémique ?

Les raisons de la polémique ne sont pas tant juridiques que diplomatiques.

Juridiquement, l’État néerlandais pouvait monter librement au capital de la société cotée Air France-KLM, holding du groupe. Il lui fallait néanmoins respecter les obligations d’information découlant de la législation des franchissements de seuils. Précisément, une déclaration de franchissement de seuils a été publiée. Le gouvernement français a toutefois exprimé le souhait que l’Autorité des marchés financiers se penche plus en détail sur la régularité de l’opération.

Diplomatiquement, en revanche, cette montée au capital d’une société dont l’actionnaire de référence est l’État français, a été perçue comme une manœuvre inamicale pour deux raisons, l’une tenant à la manière dont cette montée réalisée et l’autre tenant au moment auquel elle est intervenue.

Concernant la manière, l’État néerlandais a augmenté sa participation en toute discrétion, sans en informer ni le gouvernement français ni le conseil d’administration. L’opération a été rapidement menée – en moins d’une semaine –, par le ramassage d’actions en bourse et par l’acquisition de blocs de titres hors marché. La méthode est celle d’un fonds activiste.

Quant au moment, la montée au capital a débuté alors même que la crise que connaissait le groupe semblait trouver une issue. En effet, la politique d’intégration plus poussée que le nouveau directeur général d’Air France-KLM entendait mettre en œuvre pour les deux filiales du groupe, la Française Air France et la Néerlandaise KLM, avait causé des crispations au sein de KLM et dans la vie publique néerlandaise. Mais la veille même des opérations de ramassage, le conseil d’administration de la holding avait approuvé un nouveau schéma de gouvernance pour le groupe. Au moment où se déroulaient les opérations d’acquisition encore, le gouvernement des Pays-Bas participait à des pourparlers sur la définition des orientations stratégiques du groupe, tandis qu’un accord sur l’aéroport d’Amsterdam (pour lequel les autorités craignaient des fermetures de lignes) était en passe d’être signé. Les partenaires de négociation de l’État néerlandais ont donc dénoncé une forme de duplicité.

L’État néerlandais est à la même hauteur que l’État français (14% environ). Pourquoi cette hausse pose-t-elle problème ?

Par cette opération, l’État néerlandais a considérablement augmenté son pouvoir au sein du groupe. Il détient aujourd’hui 14 % du capital et un peu moins en termes de droit de vote ; mais il détiendra demain un pouvoir de vote bien plus important, en bénéficiant des dispositions de la loi Florange conférant un droit de vote double à tout actionnaire détenant ses actions au nominatif depuis au moins deux ans (dont l’État français bénéficie déjà). Cela suscite des difficultés de deux ordres.

D’une part, cette modification de la structure actionnariale est de nature à affecter fortement la stratégie du groupe. À court terme, elle pourrait permettre aux Pays-Bas de contrer les projets d’intégration du directeur général d’Air France-KLM. Cela ne serait pas tant problématique toutefois, s’il s’agissait là d’un actionnaire ordinaire défendant sa vision de l’intérêt social. Tel n’est justement pas le cas. L’État néerlandais a fermement annoncé vouloir défendre ses intérêts nationaux. À long terme, l’on pourrait ainsi en venir à une situation d’opposition frontale au sein du groupe, entre deux États défendant leurs intérêts propres. Les marchés ont d’ailleurs mal réagi à cette manifestation d’interventionnisme étatique.

D’autre part, la montée au capital de l’État néerlandais entraîne corrélativement le déclin de l’influence française sur une activité jugée stratégique. L’opération a en effet profondément modifié la physionomie du groupe. Historiquement, Air France-KLM est un groupe français (le siège social de la holding est en France), sur lequel la mainmise de l’État français est forte. D’ailleurs, en 2004, lorsque KLM a intégré le groupe à la faveur d’une offre publique d’échange, l’on a parlé de « rachat » de KLM par Air France. Le terme est inapproprié juridiquement, mais il a pour mérite de mettre en exergue que KLM est alors passé du giron néerlandais au giron français. L’État néerlandais était à l’origine absent de cette organisation. Il en va désormais autrement : la France devra composer avec la présence forte des Pays-Bas.

Quelles sont les possibles conséquences futures de cette percée des Pays-Bas dans la Société d’Air France-KLM ?

Pour l’heure, la France et les Pays-Bas ont annoncé la mise en place d’un groupe de travail dont les conclusions sont attendues d’ici la fin du mois de juin. Une solution négociée entre les deux principaux actionnaires est donc recherchée.

La principale revendication des Pays-Bas consiste en l’obtention de trois sièges au sein du Conseil d’administration de la holding. Ils réclament ainsi un pouvoir semblable à celui de l’État français, qui détient la possibilité de proposer la nomination de deux administrateurs et de désigner par arrêté ministériel un « représentant », en vertu d’une ordonnance du 20 août 2014. Au-delà, ces négociations pourraient se traduire par la refonte des accords signés par la France et les Pays-Bas au moment de la constitution du groupe Air France-KLM en 2004. Potentiellement, les États pourraient s’accorder, d’un côté, sur la composition des instances gouvernantes et, de l’autre, sur des questions stratégiques telles les perspectives d’emplois et de trafic aux Pays-Bas. Les observateurs s’interrogent encore sur les évolutions possibles de la structure du groupe. La percée des Pays-Bas devrait marquer un coup d’arrêt aux projets d’intégration du directeur général d’Air France-KLM. Certains vont jusqu’à envisager la cession de KLM, encore qu’il soit peu probable que le gouvernement français accepte une telle perspective, ni du reste, que celle-ci soit bénéfique à KLM. D’autres – et la perspective est plus plausible – évoquent la possibilité d’un désengagement des deux États.

Cette annonce d’une solution négociée laisse toutefois dubitatif. En effet, tout accord se heurte à un obstacle de taille : le risque de qualification d’action de concert. Totalisant à eux seuls plus de 30 % des droits de vote, les deux États seraient alors contraints de lancer une offre publique. Or s’il est bien un point sur lequel la France et les Pays-Bas s’accordent, c’est d’éviter un tel scénario ! La marge de négociation paraît donc quasi nulle.

Pour aller plus loin :

Par Caroline Coupet