Le président américain Donald Trump a annoncé le 8 mai 2018 le retrait des États-Unis de l’accord sur nucléaire iranien conclu en 2015. Cette décision va conduire les États-Unis à réactiver toute une palette de sanctions économiques dont la portée extraterritoriale devrait affecter les entreprises européennes.

Décryptage avec Régis Bismuth, Professeur à l’École de Droit de Sciences Po et Expert du Club des juristes.

« Seuls l’UE et ses États membres sont en position d’envisager une stratégie efficace afin de contrecarrer ces sanctions »

Dans quel cadre juridique s’inscrit la décision de Donald Trump annonçant le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire iranien ?

L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, aussi désigné « Plan d’action global commun » ou anglais « Joint Comprehensive Plan of Action » (JCPOA), a été conclu le 14 juillet 2015 entre d’une part l’Iran et d’autre part les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ainsi que l’Allemagne et l’Union européenne (UE). Il a fait l’objet d’une approbation subséquente par le Conseil de sécurité par la résolution 2231 du 20 juillet 2015 (ce qui soulève d’ailleurs la question de la légalité d’un retrait unilatéral). En contrepartie de restrictions s’appliquant au programme nucléaire iranien, cet accord prévoit la levée de plusieurs des sanctions visant l’Iran, notamment celles adoptées multilatéralement au sein de l’ONU ou unilatéralement par les États-Unis et l’UE. Les mesures restrictives américaines étaient celles dont le champ d’application était le plus vaste, non seulement pour ce qui concerne les activités économiques prohibées et les personnes et entités visées, mais aussi pour leur dimension extraterritoriale en ce qu’elles affectaient l’accès au marché américain des entreprises non américaines qui effectuaient des opérations avec certaines contreparties iraniennes (on parle dans ce cadre de « sanctions secondaires »).

Considérant que le JCPOA ne constituait pas un instrument efficace à l’objectif de dénucléarisation iranienne et face à l’impossibilité de le renégocier avec les différentes parties, Donald Trump annonça le 8 mai 2018 le retrait des États-Unis de cet accord, ouvrant dès lors la voie à la réactivation des sanctions économiques. Le National Security Presidential Memorandum signé par Trump à la suite de son allocution ne laisse aucun doute sur la volonté de l’administration américaine de rétablir un niveau élevé de sanctions puisqu’il enjoint le Secretary of State et le Secretary of Treasury de « immediately begin taking steps to re-impose all United States sanctions lifted or waived in connection with the JCPOA », et ce, dans un délai maximum de 180 jours. Celui-ci est nécessaire pour l’adoption de nouveaux executive orders imposant des mesures restrictives, l’établissement de nouvelles listes ou le non-renouvellement d’exemptions. La portée extraterritoriale des sanctions ne fait quant à elle pas plus de doute, le président exigeant également que soit préparée « guidance necessary to educate United States and non-United States business communities on the scope of prohibited and sanctionable activity and the need to unwind any such dealings with Iranian persons ».

La réactivation des sanctions visant l’Iran pourrait-elle affecter les entreprises européennes et notamment les contrats conclus depuis la levée des sanctions ?

A la suite de la levée des sanctions résultant de l’entrée en vigueur de l’accord de 2015, de nombreuses entreprises européennes se sont empressées de saisir les nouvelles opportunités susceptibles d’être offertes par un marché iranien qui s’annonçait prometteur. La Banque publique d’investissement (BPI France) avait d’ailleurs annoncé la mise à disposition de moyens considérables pour faciliter le financement des activités des entreprises françaises, ce qui s’avérait nécessaire compte tenu de la frilosité de certaines banques de dimension internationales après les sanctions vertigineuses subies par BNP Paribas pour violation des embargos américains. L’annonce du Président américain a fait l’effet d’une douche froide pour de nombreuses entreprises qui se sont engagées sur le marché iranien et les inquiétudes doivent être d’autant plus grandes que de nombreuses incertitudes pèsent encore sur les mesures qui seront finalement prises et en particulier leurs effets sur les contrats en cours.

La question de l’effet dans le temps du rétablissement des sanctions n’est pas traitée de manière très claire par l’accord de 2015 (v. § 37 du JCPOA). Cela a donné lieu à des appréciations différentes par l’UE et les États-Unis. Le préambule du Règlement 2015/1861 indique en effet qu’en cas « de rétablissement des mesures restrictives de l’Union, une protection adéquate sera garantie pour l’exécution des contrats conclus conformément au plan d’action au cours de la période de levée des sanctions » (§ 7). Dans la « Foire aux Questions » (FAQ) publiée les autorités américaines sur le sujet, il est toutefois indiqué que les « transactions conducted after the snapback occurs, however, could be sanctionable to the extent they implicate activity for which sanctions have been re-imposed. The JCPOA does not grandfather contracts signed prior to snapback », laissant ainsi cette question en suspens et à la discrétion (« could be sanctionnable ») des autorités américaines (Frequently Asked Questions Relating to the Lifting of Certain U.S. Sanctions Under the JCPOA on Implementation Day, point M4). Le Treasury a publié le jour même de l’allocution de Trump des FAQ précisant les « wind-down periods » à l’issue desquelles les sanctions seront rétablies (90 ou 180 jours en fonction des activités concernées) permettant ainsi aux opérateurs de mettre fin à certains contrats (v. Frequently Asked Questions Regarding the Re-Imposition of Sanctions Pursuant to the May 8, 2018 National Security Presidential Memorandum Relating to JCPOA).

Quelles mesures peuvent être envisagées par les entreprises, l’Union européenne et ses États membres afin de contrecarrer la portée extraterritoriale de ces sanctions ?

Les entreprises européennes dont les activités entrent dans le champ d’application des nouvelles sanctions n’auront pas d’autre choix que de solliciter des dérogations ou exemptions auprès des autorités américaines. C’est d’ailleurs ce qui a déjà été annoncé par certaines entreprises françaises qui avaient lancé des projets de grande envergure en Iran. Dans tous les cas, il leur serait très difficile, sinon impossible de contester la dimension extraterritoriale de ces sanctions en alléguant que les États-Unis excèdent leur compétence au regard de certains principes du droit international.

Seuls l’UE et ses États membres sont en position d’envisager une stratégie efficace afin de contrecarrer ces sanctions qui sont spontanément mises en œuvre par les entreprises européennes. Plusieurs initiatives pourraient être lancées en ce sens, comme la refonte du règlement 2271/96 du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale de certaines sanctions américaines ou une action contentieuse devant l’OMC (en ce sens, v. étude publiée à l’AFDI, spec. p. 801 et s.). Elles requièrent toutefois une volonté politique qui a, jusqu’à présent, fait défaut. Plus largement, une réponse efficace nécessite une stratégie d’ensemble face aux prétentions extraterritoriales du droit américain qui ne se limitent pas au seul domaine des sanctions mais concernent également des domaines tels que les données personnelles ou la fiscalité (v. en ce sens le Rapport de la mission d’information sur l’extraterritorialité de la législation américaine présidée par Pierre Lellouche publié en octobre 2016).