Avec un taux de participation de 80.63%, la consultation organisée le 4 novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie a donné lieu à un rejet de l’indépendance à la hauteur de 56.40% des voix. Bien qu’en deçà des prévisions établies par les sondeurs, ce résultat suggère le maintien de la collectivité océanienne au sein de la République française et c’est désormais l’avenir de son statut qui pose questions.

Décryptage par Romélien Colavitti, Maître de conférences HDR en droit public à l’Université Polytechnique Hauts-de-France.

« Collectivité française, la Nouvelle-Calédonie reste placée sous un régime de spécialité législative, dans l’attente d’éventuelles consultations ultérieures »

Dans quel contexte juridique la consultation du 4 novembre 2018 sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie est-elle intervenue ?

Rappelons que la Nouvelle-Calédonie – française depuis le 24 septembre 1853, date de sa prise de possession par le contre-amiral Auguste Febvrier Despointes – n’en est pas à sa première consultation de cet ordre. Déjà en 1958, 76.86% des Néo-Calédoniens votèrent sur le projet de Constitution instaurant la Vème République et 98.12% d’entre eux l’acceptèrent. L’on sait, d’ailleurs, que seule la Guinée refusa, à cette occasion, de participer à l’éphémère Communauté française.

Le 13 septembre 1987, une première consultation a été organisée en Nouvelle-Calédonie afin d’interroger spécifiquement la population sur la perspective d’une indépendance. Mais le boycott Kanak (not. à l’appel des indépendantistes du Front de libération nationale Kanak et socialiste, FLNKS, dirigé par Jean-Marie Tjibaou) a laissé plafonner le taux de participation à 59.10% et légitimement fait douter de la représentativité des 98.30% de voix en faveur du maintien dans la République. Les tensions entre Kanaks et « Caldoches » ont alors redoublé lors de la fameuse prise en otage des gendarmes d’Ouvéa fin avril, début mai 1988. Les accords de Matignon-Oudinot (26 juin 1988) mettront fin aux troubles et seront complétés par l’accord de Nouméa (5 mai 1998), lui-même approuvé par consultation locale le 8 novembre 1998, avec une participation de 74.23% et une approbation à la hauteur de 71.86%. La Nouvelle-Calédonie est alors passée, dans ce contexte, d’un statut de Territoire d’outre-mer applicable depuis 1946, à celui de collectivité sui generis régie, depuis la Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998, par le Titre XIII de la Constitution (articles 76 et 77), précisé par la Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999.

Quelles étaient alors les spécificités du régime encadrant cette consultation ?

L’article 77 de la Constitution invite le législateur organique à déterminer « les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté ». La Loi organique n° 99-209, modifiée par la Loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018, prévoit que cette consultation doit intervenir au cours du mandat 2014-2019 du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. C’est la délibération n° 309 du 19 mars 2018, adoptée par ce dernier, qui fixe la date de la consultation au 4 novembre. Les articles 216 et suivants de la Loi organique en précisent les modalités et renvoient au décret n° 2018-457 du 6 juin 2018, le soin de convoquer les électeurs et organiser les opérations. C’est celui-ci qui formule, à son article 2, la question alors soumise au vote : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

Pour s’en tenir à l’essentiel, la spécificité de ce cadre juridique est double. D’une part, l’affirmation d’une « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie », dans l’accord de Matignon-Oudinot, a eu pour conséquence l’établissement de listes électorales spéciales permettant de déterminer un corps électoral restreint, seul autorisé à voter lors de la consultation du 4 novembre. Ce corps électoral spécial, fruit d’une combinaison complexe de conditions de naissance et/ou de domiciliation, est défini à l’article 218 de la Loi organique n° 99-209 et repose sur pas moins de huit situations dans lesquelles il est permis de participer à la consultation. D’autre part, le déroulement de la campagne et des opérations de vote est aussi spécifiquement encadré par la Loi organique, précisée par le décret n° 2018-457. Son article 219 III a institué une commission de contrôle de l’organisation et du déroulement de la consultation, présidée par un conseiller d’État et composée de quatre magistrats, chargée de veiller à une répartition égalitaire des temps de parole entre partisans du Oui et ceux du Non. Il est à noter que le contentieux de la régularité de cette consultation relève, sur le fondement de l’article 220, de la compétence du Conseil d’État statuant au contentieux, sur saisine d’un électeur ou du Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. Enfin, s’agissant d’un « Territoire non autonome » selon l’Assemblée générale de l’ONU, des observateurs internationaux ont notamment participé – sans voix délibérative – aux travaux des Commissions administratives spéciales chargées de mettre régulièrement à jour les listes électorales.

Avec le rejet de l’indépendance, quel avenir institutionnel s’annonce pour la Nouvelle-Calédonie ?

Collectivité française, la Nouvelle-Calédonie reste placée sous un régime de spécialité législative, dans l’attente d’éventuelles consultations ultérieures. En effet, l’accord de Nouméa et l’article 217 de Loi organique n° 99-209 prévoient qu’à la suite du rejet de l’indépendance lors de la consultation du 4 novembre, une deuxième consultation sur la même question peut être organisée à la demande écrite du tiers des membres du Congrès, adressée au Haut-commissaire et déposée à partir du sixième mois suivant le scrutin. Cette deuxième consultation a alors lieu dans les dix-huit mois qui suivent. En cas de nouveau rejet, une troisième consultation pourra encore être organisée, selon les mêmes modalités. Or, les élections au Congrès et aux assemblées provinciales de mai 2019 pourraient donner à lieu à une percée des élus indépendantistes et, partant, à l’organisation d’un deuxième (voire, d’un troisième) référendum.

Pour l’heure, le Président de la République s’est félicité du résultat de cette première consultation dans une allocution télévisée et a invité au dialogue l’ensemble des partis politiques Néo-Calédoniens. Si aucune autre consultation n’est organisée ou débouche sur une réponse affirmative, il est fort à parier que le statut de la Nouvelle-Calédonie sera revu par une nouvelle législation organique, voire une révision constitutionnelle. Mais cette éventuelle reconfiguration ne devra pas faire perdre de vue, qu’au-delà de facteurs historiques et culturels, l’indépendantisme prospère là où les inégalités (de salaires et d’accès à l’emploi ou à l’éducation) sont le plus vivement ressenties par la population kanake.

 

Par Romélien Colavitti