La Cour suprême américaine a récemment fait la Une de l’actualité. Elle s’est tout d’abord prononcée sur le travel ban, mesure polémique du président Donald Trump. Ce dernier a également nommé un nouveau juge à la Cour suprême après la démission du juge Kennedy.

Décryptage par Idris Fassassi, Maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas.          

« La Cour estime que le texte est motivé par des considérations de sécurité nationale, et non par une volonté de discriminer »

 Dans quel contexte la Cour suprême s’est-elle prononcée dans l’affaire dite du « travel ban »?

La décision rendue le 26 juin par la Cour suprême marque une étape décisive dans la saga judiciaire relative au décret interdisant l’entrée sur le sol américain des ressortissants de certains États dont la population, pour la quasi-totalité de ces États, est majoritairement musulmane.

Quelques jours après son entrée en fonction, Donald Trump a adopté un décret prévoyant notamment l’interdiction temporaire de l’entrée des ressortissants de sept pays (Soudan, Libye, Syrie, Somalie, Yémen, Iran et Irak). On se souvient que Donald Trump avait affirmé durant sa campagne vouloir interdire l’immigration de toute personne d’origine musulmane.

Des recours furent immédiatement déposés. Les requérants invoquant notamment la violation du Premier amendement, qui interdit à l’État de favoriser une religion ou d’en défavoriser une autre.

Des cours fédérales leur donnèrent raison et suspendirent l’application du décret.

L’administration Trump a alors adopté un deuxième décret qui interdit la venue des ressortissants de six États (l’Irak est retiré de la liste).

Le décret fut de nouveau suspendu.

En septembre 2017, l’administration adopte une troisième version du texte qui interdit ou limite fortement, de manière permanente cette fois-ci, l’entrée des ressortissants de l’Iran, la Libye, la Syrie, le Tchad, le Venezuela, la Corée du Nord et le Yémen.

Après une nouvelle suspension par des juridictions inférieures, la Cour suprême autorisa l’application du décret et accepta de se prononcer.

Quelle a été alors la solution retenue et comment la Cour suprême a-t-elle justifié sa solution ?

L’arrêt Trump v. Hawaï était très attendu. La Cour devait en effet se prononcer sur les pouvoirs du Président et l’étendue du contrôle des juges, à l’ère de la Présidence Trump et de sa conception maximaliste de ses pouvoirs.

Par cinq voix contre quatre, la Cour donne raison à l’administration. Elle se focalise sur les dispositions d’une loi fédérale qui prévoit que le Président peut « suspendre l’entrée sur le territoire de catégories d’étrangers » dont la venue serait « préjudiciable aux intérêts des États-Unis ». Ce texte, écrit la Cour, « transpire la déférence à l’égard du Président dans chacune de ses clauses » et lui accorde « de larges pouvoirs ». Les juges estiment que l’administration a apporté la preuve que l’arrivée de ces ressortissants était nuisible aux intérêts américains et refusent d’exercer un contrôle plus poussé.

Dans un second temps, la Cour rejette l’argument selon lequel le décret violerait le Premier amendement et traduirait ainsi une animosité à l’égard des musulmans. La Cour rappelle les propos de campagne de Donald Trump, et ceux de ses conseillers qui évoquaient un maquillage juridique, mais souligne que « l’enjeu n’est pas de dénoncer ces propos ». Au terme d’une analyse axée sur la neutralité apparente du décret, la Cour estime que le texte était motivé par des considérations de sécurité nationale, et non par une volonté de discriminer.

Une des juges a dénoncé la décision de la Cour, affirmant qu’un « observateur raisonnable conclurait que le décret était motivé par la volonté de discriminer à l’encontre des musulmans ».

La décision de la majorité pousse en effet loin le formalisme.

Il faut reconnaître que la loi et les précédents accordent de larges pouvoirs au Président en ces matières, tout comme il faut reconnaître que, sans les propos de Donald Trump, le décret n’aurait probablement guère soulevé de difficultés juridiques. De même, on comprend la difficulté d’intégrer des propos de campagne dans l’analyse de la constitutionnalité de mesures adoptées une fois au pouvoir. On comprend également que la Cour entende raisonner sur les pouvoirs de la Présidence, et non ceux d’un Président en particulier.

La difficulté tient néanmoins à savoir si le juge peut faire abstraction de ce contexte, et des propos d’un Président si particulier, lorsqu’ils semblent si pesants et déterminants. La Cour s’est est tenue à une analyse en surface, refusant d’appréhender réellement ce qu’il y avait derrière le rideau des apparences, alors que Donald Trump lui-même avait révélé ce qu’il y avait derrière.

On notera que les cinq juges nommés par des présidents républicains ont voté en faveur de la validation du décret et que les quatre juges nommés par des présidents démocrates ont voté contre, ce qui traduit la polarisation de la Cour.

A la suite de la démission du juge Kennedy, quel sera l’impact de la nomination à la Cour suprême annoncée lundi 9 juillet par Donald Trump ?

Si elle est confirmée par le Sénat, la nomination de Brett Kavanaugh en remplacement du juge Kennedy renforcerait de manière significative l’orientation conservatrice de la Cour.

La Cour, dont les juges ont un mandat à vie, a longtemps été divisée entre les cinq membres de l’aile conservatrice et les quatre de l’aile progressiste. Avec le décès du juge conservateur Antonin Scalia en février 2016, la Cour passe d’un clivage 5-4 en faveur des conservateurs à une situation d’équilibre relatif 4-4, avec, à l’horizon, un basculement côté progressiste en raison de la nomination à venir de Barack Obama. Celle-ci ne vint jamais, ou plutôt ne fut jamais confirmée, puisque les sénateurs républicains refusèrent de se prononcer sur la nomination de son candidat. Une fois Président, Donald Trump a pu nommer l’an dernier un juge conservateur, Neil Gorsuch, dans la lignée du juge Scalia. Alors que l’on pouvait imaginer en 2016 un basculement de la Cour dans le camp progressiste, quelques mois plus tard l’ancrage conservateur est au contraire préservé.

La démission du juge Kennedy offre maintenant à Donald Trump la possibilité d’orienter durablement la Cour dans le camp conservateur. Le juge Kennedy était en effet le juge-pivot de la Cour, son centre de gravité idéologique; s’il votait le plus souvent avec l’aile conservatrice, il rejoignait cependant l’aile progressiste dans certaines affaires. Son remplacement par un juge plus conservateur déplacera donc la Cour vers la droite.

Le choix de Donald Trump s’est porté sur Brett Kavanaugh, juge dans une cour d’appel fédérale aux opinions conservatrices bien affirmées.

Les démocrates ont annoncé qu’ils s’opposeraient à sa nomination, affirmant que le droit de recourir à l’avortement est en danger. Le rapport de force ne joue pas en leur faveur mais le vote s’annonce serré. Il faut en effet 51 voix pour confirmer la nomination et les républicains détiennent … 51 sièges, avec une incertitude concernant le sénateur John McCain, absent pour raison de santé. Alors que le Sénat sera partiellement renouvelé lors des élections de mi-mandat en novembre, cette nomination, et ce qu’elle représente pour la résolution des grandes questions de société soumises à la Cour, en sera donc un enjeu majeur.

Par Idris Fassassi