Alors que les ministres démissionnent les uns après les autres du gouvernement de Theresa May, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont annoncé avoir trouvé un accord au sujet du Brexit. Suffisant pour voir les britanniques quitter définitivement l’Europe ?

Décryptage par Aurélie Duffy-Meunier, professeur de droit à l’Université de Lorraine

« La priorité était de s’entendre sur les modalités de sortie avant de négocier un traité sur les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union »

Sommes-nous enfin proches d’un accord définitif sur le Brexit ?

Le projet d’accord de retrait constitue une avancée notable des négociations relatives au Brexit. Les étapes suivantes, indispensables à l’entrée en vigueur de cet accord, incitent toutefois à la prudence. Les démissions ministérielles, au nombre desquelles on compte le Secrétaire d’Etat au Brexit, Dominic Raab, et les critiques formulées y compris au sein des députés conservateurs montrent bien que « nothing is agreed until eveything is agreed », pour reprendre le communiqué de presse de la Commission européenne et le document explicatif de l’accord publié par le Gouvernement britannique.

En effet, les négociations portent, en vertu de l’article 50 TUE, non pas sur un, mais sur deux textes ayant chacun un statut juridique différent : un texte juridique, l’accord de retrait, et une déclaration politique portant sur le cadre des relations futures. En juin dernier, ce second aspect des négociations, qui a fait l’objet de propositions britanniques avec le « Plan de Chequers », a contribué à la démission de Boris Johnson et David Davis.

Comment traduire l’annonce qui a été faite concernant l’accord de retrait ?

L’annonce qui a été faite concerne principalement l’accord de retrait qui fixe les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Une fois qu’il sera devenu un Etat tiers, l’accord prévoit une période de transition du 30 mars 2019 au 31 décembre 2020 afin de permettre une sortie « ordonnée » qui garantisse une certaine sécurité juridique aux citoyens, aux opérateurs juridiques et économiques. Durant cette période, bien que le Royaume-Uni ne participe plus aux institutions européennes, le droit de l’Union continuera, en principe, à s’appliquer. Cette solution s’est imposée pour solutionner la question du rétablissement de la frontière nord-irlandaise qui constituait l’un des derniers obstacles à la finalisation du projet d’accord. Le traité portant sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union, qui contiendra des dispositions sur l’Irlande, remplacera les règles établies dans le Protocole s’il est conclu durant la période de transition. Si ce futur accord n’était pas conclu durant la phase de transition, il sera possible de la prolonger. En cas d’échec d’une prolongation de la période de transition, la solution du « filet de sécurité » (backstop), pourrait intervenir en maintenant un espace de libre circulation des personnes respectant le droit de l’Union et en établissant un territoire douanier commun (single custom territory).

S’agissant du second texte, seuls les « contours » de la déclaration politique sur le cadre des relations futures après cette période de transition ont été dessinés dans un document séparé. La priorité, que Michel Barnier (négociateur en Chef pour l’Union européenne chargé de mener les négociations liées au Brexit). avait d’ailleurs rappelée, était de s’entendre sur les modalités de sortie avant de négocier un traité sur les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union. Cette déclaration se contente d’énumérer, sans les développer, un certain nombre de principes et de règles concernant un partenariat économique, en matière de sécurité ainsi que des aspects institutionnels. Elle devrait être détaillée cette semaine, avant le Conseil européen du 25 novembre, afin d’être ratifiée avec l’accord de retrait. Cette déclaration politique pose les premiers jalons de l’accord sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union. Ces négociations débuteront durant la période de transition, une fois que le Royaume-Uni ne sera plus un Etat membre.

Quelles sont les prochaines étapes vers la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne ?

La conclusion de l’accord n’est qu’une première étape. Pour entrer en vigueur, cet accord doit, en vertu de l’article 50 du Traité UE, être ratifié suivant des procédures européennes et britanniques, avant le 29 mars 2019.

Un Conseil européen doit, d’abord, avoir lieu le 25 novembre pour approuver le projet d’accord et la déclaration politique sur le cadre de la relation future avec le Royaume-Uni.

La ratification de l’accord est, ensuite, conditionnée par une approbation par le Parlement britannique du projet d’accord. Cette procédure spécifique (Section 13 du European Union (Withdrawal) Act 2018 et les déclarations ministérielles à son sujet) exige l’approbation préalable par les deux Chambres d’une motion ministérielle indiquant qu’un accord politique a été trouvé et présentant une copie du projet d’accord de retrait et de la déclaration politique sur le cadre des relations futures. Chaque motion devra être approuvée, rejetée ou, si le Président de la Chambre l’autorise, amendée afin de demander au Gouvernement de renégocier l’accord en suivant les directives des députés. Ces derniers ne peuvent, en revanche, pas modifier le texte de l’accord. Dans l’hypothèse – qui n’est pas improbable, compte tenu du contexte politique actuel – où l’accord ne serait pas approuvé, le Gouvernement devra poursuivre les négociations pour trouver un nouvel accord et renouveler cette procédure devant les deux Chambres si le temps le lui permet.

Si le Parlement approuve la motion ministérielle sur le projet d’accord, le Gouvernement devra proposer un projet de loi global (le European Union (Withdrawal Agreement) Bill) et éventuellement des projets de lois plus spécifiques ainsi que des législations déléguées afin de donner effet en droit interne à l’accord de sortie. Ces textes devront être adoptés avant le 29 mars 2019.

L’accord de retrait devra également être ratifié conformément aux dispositions du Constitutional Reform and Governance Act 2010 d’ici le 29 mars 2020 pour entrer en vigueur.

Dans le même temps, le Parlement européen devra approuver l’accord à la majorité simple avant que le Conseil de l’Union européenne ne le conclue à la majorité qualifiée.

Les incertitudes politiques qui pèsent sur le Gouvernement de Theresa May (après la démission de certains ministres, deux ministres pro-Brexit Michael Gove et Liam Fox lui ont fait part de leur soutien) mais des députés conservateurs eurosceptiques  dont le nombre est pour l’instant insuffisant pour déclencher la procédure – ont signé une lettre de défiance visant à déclencher un processus interne au parti conservateur de changement de Leader (et, par conséquent, de changement de Premier ministre) ne rendent donc pas improbable le rejet de l’accord. En l’absence de prolongation de la période de négociation, l’hypothèse du No deal entraînera une sortie brutale du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Par Aurélie Duffy-Meunier, Professeur à l’Université de Lorraine