Augmentation inhabituelle des tarifs réglementés de vente d’électricité, dépassement du volume annuel de l’ accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), mise en extinction des tarifs réglementés de vente de gaz naturel, réduction du périmètre des tarifs réglementés de vente d’électricité… Comment ces évolutions s’articulent-elles à la loi Énergie et Climat en discussion à l’Assemblée nationale ?

Décryptage par Claudie Boiteau, Professeur de droit public à l’Université Paris-Dauphine PSL, membre de la Commission énergie du Club des juristes.

« Selon le droit européen, la fourniture d’électricité et de gaz à des tarifs réglementés constitue, par nature, une entrave au développement concurrentiel du marché »

Le 1er juin, les tarifs réglementés de vente de l’électricité ont augmenté de 5,9%. Pour quelle raison ?

Cette forte hausse tient à la méthode d’établissement des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), fondée sur l’addition d’une série de coûts (« briques »), censée refléter les coûts d’EDF et permettre la concurrence sur le marché de la fourniture. Cette méthode, établie par la loi, vise à assurer la convergence des tarifs réglementés avec les coûts de fourniture sur le marché. Les TRV doivent ainsi être « contestables », c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas, par leur niveau (trop bas), empêcher un opérateur concurrent d’EDF, présent ou entrant sur le marché de la fourniture, de proposer des offres à prix égaux ou inférieurs aux tarifs réglementés.

Plusieurs raisons, affectant certaines « briques », expliquent l’augmentation que connait, au demeurant, l’ensemble des pays européens.

La première est la hausse du prix de l’électricité sur les marchés de gros (de 35 €/MWh en 2017 à 59 €/MWh en 2018), conséquence de la hausse du prix du carbone et des matières premières comme les combustibles.

Cette augmentation a rendu plus attractif le dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) qui impose à EDF de fournir l’électricité aux fournisseurs qui en font la demande, à un prix inchangé depuis 2012 de 42 €/MWh mais, dans la limite du plafond annuel global de 100 TWh. Ce plafond ayant été dépassé par les demandes pour 2019, la Commission de régulation de l’énergie a réparti le volume d’ARENH au prorata des demandes, obligeant les fournisseurs à se reporter sur le marché de gros, plus cher. L’augmentation des TRVE prend en compte l’effet de ce report, ce qui a été critiqué par l’Autorité de la concurrence (Avis n° 19-1-07).

Une autre raison concerne le coût d’entretien du réseau électrique, qui doit s’adapter au développement des énergies renouvelables. C’est une dimension de la transition énergétique.

Enfin, le prix des garanties de capacité est aussi une cause importante de l’augmentation. Le mécanisme des garanties de capacité a pour but d’assurer la sécurité d’approvisionnement. Les garanties sont délivrées aux producteurs capables d’augmenter leur production lors des pics de consommation. Elles sont ensuite vendues aux fournisseurs qui doivent en détenir en proportion de leur clientèle. Leur prix, révélé dans le cadre de sessions de marché appelées « enchères », a doublé en 2018.

L’augmentation des TRVE, qui concernent encore plus de 25 millions de consommateurs, soulève avec plus d’acuité que jamais la question de leur méthode d’élaboration et, plus spécialement, des coûts réels de production d’EDF. Le débat est tout juste ouvert.

La loi Énergie-climat en discussion au Parlement engage la réforme des tarifs réglementés de vente de l’électricité. Quelle est la portée de cette évolution ?

Selon le droit européen, la fourniture d’électricité et de gaz à des tarifs réglementés constitue, par nature, une entrave au développement concurrentiel du marché. Une réglementation tarifaire est toutefois admise si elle est justifiée par la poursuite d’un objectif d’intérêt économique général (sécurité des approvisionnements, cohésion territoriale ou maintien des prix à un niveau raisonnable), proportionnée à cet objectif, transparente et non discriminatoire.

Dans son arrêt Sté Engie et ANODE, du 18 mai 2018, le Conseil d’État a jugé que les TRVE constituent une mesure poursuivant un objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix mais disproportionnée à cet objectif en ce qu’elle bénéficie, en deçà d’un seuil de consommation, à un trop grand nombre de consommateurs sans distinction et qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire.

Parallèlement, la nouvelle « directive électricité », adoptée par le Parlement européen le 26 mars 2019, conditionne strictement le maintien de tarifs réglementés.

La loi tire les conséquences de la jurisprudence et de la directive.

En conséquence, à compter du 1er janvier 2020, le périmètre des TRVE est circonscrit, pour les sites souscrivant une puissance inférieure à 36 000 kVA, aux seuls clients finals domestiques et aux clients non domestiques n’employant pas plus de dix personnes et ne dépassant pas le seuil de chiffre d’affaires annuel ou le total de bilan annuel de 2 M€.

Elle prévoit, en outre, les mesures d’accompagnement pour la transformation des contrats exclus de ces catégories en contrats conclus en offre de marché.

Ensuite, la loi engage la révision du mode de calcul des TRVE et autorise le gouvernement à relever le volume d’ARENH à 150 TWH, à partir du 1er janvier 2020 et à en modifier, par arrêté, le prix, en attendant qu’un décret en Conseil d’État en définisse la méthode de calcul.

Pourquoi la loi Energie et Climat met-elle fin aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel ? Quels changements pour les consommateurs ?

Dans son arrêt ANODE, du 19 juillet 2017, le Conseil d’État a jugé qu’aucun objectif d’intérêt économique général ne fondait l’existence de tarifs réglementés de vente du gaz naturel car d’une part, le gaz est une source d’énergie substituable et ne constitue pas un produit de première nécessité et, d’autre part, la méthode de fixation du tarif ne peut être regardée comme visant à garantir un prix raisonnable. Dès lors, les dispositions légales, incompatibles avec le droit de l’Union, devaient être abrogées.

Toutefois, le législateur a engagé une extinction progressive des tarifs réglementés de vente selon les catégories de consommateurs. Ainsi, ces tarifs perdurent, pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30 000 kWh par an, jusqu’au premier jour du treizième mois suivant la publication de la loi et, pour les consommateurs finals domestiques consommant moins de 30 000 kWh par an ainsi que pour les propriétaires d’un immeuble consommant moins de 150 000 kWh par an, jusqu’au 30 juin 2023.

Cet étalement se justifie par le nombre encore important de consommateurs aux tarifs réglementés (un peu plus de 4,3 millions au 31 décembre 2018) qu’il faut informer et préparer au basculement vers une offre de marché.

Les consommateurs seront accompagnés dans ce basculement par la CRE et le Médiateur national de l’énergie qui leur fourniront les informations utiles, ainsi que par les fournisseurs de gaz qui ont l’obligation d’informer leurs clients aux tarifs réglementés de la date de fin de leur éligibilité auxdits tarifs, de la disponibilité des offres de marché et de l’existence d’un comparateur d’offres.

Les dispositifs de « fourniture de dernier recours » et de « fourniture de secours » éviteront qu’un consommateur soit exposé à la disparition de son contrat et donc de sa fourniture.

Pour aller plus loin :

Par Claudie Boiteau.