Source carte : Grand Paris Développement

Le projet Charles de Gaulle Express permet de relier l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle au centre de Paris en 20 minutes. Pour la mise en œuvre du projet, des expropriations sont nécessaires mais ces dernières sont vivement critiquées. Le Conseil d’État a par ailleurs rejeté les recours contre la déclaration d’utilité publique en octobre dernier, laissant la voie libre au projet. Depuis, un bras de fer oppose élus du secteur et associations contre le projet.
Un décret approuvant le contrat de concession du Charles-de-Gaulle Express a été publié au Journal officiel en février dernier. Il devrait ainsi rouler en 2024 afin d’accueillir les spectateurs qui viendront assister aux Jeux olympiques qui se dérouleront à Paris.
Retour sur les difficultés juridiques que ce projet a suscité.

Décryptage par Stéphane Braconnier,  professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« Le Conseil d’État a admis l’utilité publique du projet, en appliquant sa jurisprudence dite du « bilan coûts-avantages »

 Qu’est-ce qu’une Déclaration d’Utilité Publique (DUP) ?

Une déclaration d’utilité publique est un acte administratif unilatéral par lequel l’ État déclare qu’un projet d’infrastructure ou d’ouvrage (ou encore des travaux) présente une utilité publique justifiant que l’opération donne lieu à des expropriations, à des servitudes, voire à certains avantages fiscaux. La DUP est un constat qui, compte tenu de la forme qu’elle emprunte – un décret ou un arrêté préfectoral, peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. La DUP est généralement précédée d’une enquête publique, organisée dans les conditions prévues par le Code de l’environnement. Le décret n°2018-1006 du 19 novembre 2018 prorogeant les effets de l’arrêté interpréfectoral n°2008/2250 du 19 décembre 2008 déclarant d’utilité publique le projet de liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle Express forme ainsi, au cas présent, le dernier acte en date afférant à la DUP de ce projet de grande envergure.

En effet, le projet de liaison ferroviaire directe CDG Express a été initialement reconnu d’utilité publique par un arrêté du 19 décembre 2008, à l’issue d’une enquête publique initiée en 2003. Le montage juridique et financier du projet a, depuis, subi diverses modifications, en raison notamment de l’impossibilité dans laquelle s’est trouvé l’attributaire initial du contrat (VINCI) de le financer. Le projet a donc été abandonné en 2011, avant d’être repris, à partir de 2012, dans le cadre d’une nouvelle architecture fondée sur une concession de travaux confiant à une filiale commune de SNCF Réseau et d’Aéroport de France (ADP) la réalisation de l’infrastructure, l’exploitation faisant, elle, l’objet d’une concession de services confiée, après mise en concurrence, à une société dédiée détenue par RATP Dev. et KEOLIS. Cette concession a été approuvée par un décret du 14 février 2019.

Pourquoi le Conseil d’État a-t-il rejeté les recours contre la DUP ?

Était en cause, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du Conseil d’État du 22 octobre 2018 (Req. n°411086 et 411154), un arrêté interpréfectoral du 31 mars 2017, modifiant l’arrêté initial de déclaration d’utilité publique de 2008. Saisi par plusieurs requérants, notamment la commune de Mitry-Mory et une association opposée au projet, le Conseil d’État avait à se prononcer sur la légalité des conditions dans lesquelles l’État a amendé l’utilité publique du projet.  Tout en rejetant au final les recours, le Conseil d’État a pris soin, dans sa décision, d’énoncer les obligations de l’État « lorsqu’un projet déclaré d’utilité publique fait l’objet de modifications substantielles durant la période prévue pour procéder aux expropriations nécessaires, sans toutefois qu’elles conduisent à faire regarder celui-ci comme constituant un projet nouveau ». Selon le Conseil d’État, il faut, dans ce cas, que « l’autorité compétente [porte] une nouvelle appréciation sur son utilité publique au regard de ces changements et [modifie] en conséquence la déclaration d’utilité publique initiale ».

Cependant, cette nouvelle appréciation et la modification qui en découle « ne saurait, [selon le Conseil d’État], légalement intervenir qu’à la suite d’une nouvelle enquête publique, destinée notamment à éclairer le public concerné sur la portée des changements ainsi opérés au regard du contexte dans lequel s’inscrit désormais le projet ». En d’autres termes, une modification substantielle de l’utilité publique telle qu’initialement constatée impose au maître d’ouvrage public l’organisation d’une nouvelle enquête qui, selon le vade-mecum fourni par le Conseil d’État, doit reprendre « les éléments du dossier soumis à l’enquête publique initiale en les actualisant pour prendre en compte les modifications substantielles apportées au projet et les évolutions du contexte si ces dernières sont significatives ». Il doit également « produire les éléments du dossier soumis à enquête publique nouvellement requis par la réglementation ».

Après avoir scrupuleusement vérifié que ces obligations avaient été respectées par l’Etat, le Conseil d’État a décidé d’écarter les griefs tirés de l’irrégularité de l’enquête publique et de l’illégalité de l’arrêté, puis a admis, in concreto, l’utilité publique du projet, en appliquant sa jurisprudence dite du « bilan coûts-avantages » (CE, 1971, Ville Nouvelle-Est). A travers les bénéfices attendus du projet (amélioration de la desserte de Roissy-CDG, accélération du développement économique régional et national, contribution à la compétitivité de la région Île-de-France et de Paris ainsi qu’à la réussite des Jeux olympiques de 2024, etc.), il n’est pas apparu au Conseil d’État que les modifications apportées au projet étaient de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique.

De nombreuses voix se sont opposées au projet, évoquant un coût économique, social et environnemental important. Quelles seront les futures étapes de ce projet ? Quels seraient les recours possibles ?

La concession ayant été approuvée et publiée au Journal officiel, le projet va désormais entrer dans sa phase opérationnelle, notamment avec les études d’exécution, le phasage et le lancement effectif des travaux. Si cela s’avère nécessaire, des expropriations vont également pouvoir être prononcées. A ce stade, toute personne ayant un intérêt à agir, soit à titre personnel, soit à raison de son objet social, va pouvoir déposer un recours contre l’un des actes qui vont jalonner la vie du projet dans sa phase d’exécution. Au-delà, en effet, des arrêtés et décrets afférant à l’utilité publique du projet, qui sont, en général, « ciblés » en premier lieu par les opposants à un projet d’infrastructure (communes intéressées, associations d’usagers des transports ou de protection de l’environnement etc.), les arrêtés d’expropriation vont, eux aussi, dans un second temps, pouvoir être attaqués par les propriétaires concernés, s’ils s’estiment injustement privés de leur propriété.

Ils pourront alors invoquer, entre autres, les prescriptions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou de larticle 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans la sphère de la commande publique, d’autres actes pourraient ultérieurement, ou auraient pu, faire l’objet de recours : attribution du contrat de concession de service au groupement RATP Dev./KEOLIS ou conclusion des marchés de travaux subséquents. Ce sont alors les concurrents évincés qui, dans ce cas, sont en première ligne pour déposer des recours : référé précontractuel ou recours en validité du contrat. Concurrent du concessionnaire lauréat, TRANSDEV a d’ailleurs engagé une procédure devant l’Autorité de la concurrence.

Enfin, en fin de projet, les actes relatifs à la fixation du montant des redevances d’utilisation de l’infrastructure ou de détermination des tarifs perçus sur les usagers du service pourraient faire l’objet de recours. Il est vrai néanmoins que, sur ces deux derniers terrains, l’Etat a pris soin de sécuriser les choses. L’ordonnance n° 2016-157 du 18 février 2016 relative au CDG Express, ratifiée par la loi n°2016-1887 du 28 décembre 2016 (V° not. Code du transport, art. L. 2111-3), puis les articles 20 et 21 de la loi « olympique » n°2018-202 du 26 mars 2018 ont en effet introduit en droit positif plusieurs dispositions destinées à limiter la portée des recours et, partant, à empêcher que la mise en service de la liaison, prévue le 1er janvier 2024, juste avant l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, ne soit retardée.

Pour aller plus loin :

Par Stéphane Braconnier