Ce jeudi, le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon et cinq autres membres du mouvement comparaissent au tribunal de Bobigny. Ils seront jugés pour «actes d’intimidation envers un magistrat, rébellion et provocation» suite à l’épisode des perquisitions au siège de LFI en octobre 2018.

Décryptage par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences à l’Université du Mans.

« Jean-Luc Mélenchon risque trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende car il s’agit d’une rébellion en réunion »

Pourquoi Jean-Luc Mélenchon est-il jugé en correctionnelle ?

À la suite de leurs comportements lors des perquisitions au siège du parti de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon et cinq de ses proches (dont deux députés Alexis Corbière et Bastien Lachaud, et le parlementaire européen Manuel Bompard) vont comparaître devant le tribunal correctionnel des chefs de rébellion, provocation et actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire.

Soulignons tout d’abord que le tribunal correctionnel a rejeté une demande de report d’audience formulée par le Ministère public invoquant le fait que certaines pièces du dossier (conclusion du rapport IGPN) n’avaient été transmises à toutes les parties.

Il convient ensuite de relever que ces trois incriminations sont des délits appartenant à la catégorie des atteintes à l’autorité de l’État. Il faut désormais apporter quelques précisions sur chacune des qualifications reprochées au leader de la France Insoumise et à ses proches.

La rébellion est définie par le Code pénal comme « le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice » (art. 433-6 C. pénal). Est constitutif d’une telle infraction le fait de résister avec violences et voies de fait à des gendarmes qui tentent de procéder à une arrestation mais également le fait de s’opposer par la force à une perquisition domiciliaire. La rébellion ne saurait être excusée par la prétendue illégalité de l’acte accompli par les forces de l’ordre.

La provocation directe à la rébellion doit se manifester « soit par des cris ou des discours publics, soit par des écrits affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l’écrit, de la parole ou de l’image » (art. 433-10 C. pénal). L’objectif de cette incrimination est de réprimer des comportements qui rendent particulièrement difficile la mission des représentants de la force publique. Commet ce délit de provocation la personne qui, pour faire obstacle à son interpellation par des policiers, harangue la foule en l’incitant par des propos violents à commettre des violences sur ceux-ci (Cass. crim., 21 févr. 2017, n° 16-83.641).

La dernière qualification est celle des menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique, délit prévu par l’article 433-3 du Code pénal qui réprime en son dernier alinéa le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation pour obtenir d’un magistrat ou d’un fonctionnaire de la police nationale qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction ou de sa mission, ou facilité par sa fonction ou sa mission.

Dans quel cadre se sont déroulées ces perquisitions ?

La réponse à cette question permet d’apporter un certain nombre de précisions.
En premier lieu, il ne s’agit pas d’une seule mais de plusieurs perquisitions qui ont lieu simultanément au siège du Parti de gauche, à celui de La France insoumise, au domicile des assistants de Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il était député européen mais également chez divers responsables de la campagne présidentielle des Insoumis.

En deuxième lieu, ces perquisitions ont été menées par l’Office central de lutte contre la corruption-cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet de Paris. La première enquête, ouverte à la suite d’un signalement de la part d’une eurodéputée d’un parti extrême droite, porte sur de présumés emplois fictifs d’assistants parlementaires européens ce qui pourrait tomber sous la qualification de détournements de fonds publics (art. 432-15 C. pénal). La seconde enquête concerne les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon pendant l’élection présidentielle à la suite du signalement du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. La violation des règles de financement des campagnes électorales peut constituer un délit électoral sanctionné pénalement par le Code électoral (art. L. 113-1 C. électoral – 3 ans d’emprisonnement – 45 000 euros d’amende – peine d’inéligibilité).En dernier lieu, ces perquisitions ont été menées sous le régime de l’enquête préliminaire. Celle-ci obéit aux mêmes exigences de nécessité et de proportionnalité que dans l’enquête de flagrance. De même, cette perquisition ne peut être commencée avant 6 h et après 21 heures (art. 59 CPP). En revanche, ces perquisitions menées dans le cadre de l’enquête préliminaire présentent une différence fondamentale avec celles effectuées en enquête de flagrance : elles ne peuvent être pratiquées qu’à la condition d’avoir obtenu l’accord préalable de la personne chez laquelle l’opération a lieu (art. 76 CPP).

Ainsi, l’officier de police judiciaire (OPJ) ou l’agent de police judiciaire (APJ) doit, en principe, recueillir l’assentiment exprès de l’occupant légitime ou du représentant de la personne morale. Néanmoins, le législateur a prévu la possibilité d’effectuer cette opération sans l’assentiment de la personne perquisitionnée si les nécessités de l’enquête concernent un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans (à l’époque des faits). Cette perquisition coercitive doit alors autorisée par une décision écrite et motivée du Juge des libertés et de la détention (JLD), saisi par requête du procureur de la République. Les faits poursuivis dans cette affaire étant passibles de dix ans d’emprisonnement, on comprend mieux pour quelles raisons l’opposition de Jean-Luc Mélenchon était vouée à l’échec.

Que risquent Jean-Luc Mélenchon et ses proches ?

Pour le délit de rébellion, Jean-Luc Mélenchon n’encourt pas une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende mais en réalité une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende car il s’agit d’une rébellion commise en réunion (art. 433-7 C. pénal). Il convient de noter que ces peines aggravées ont été revues à la hausse par le législateur par la loi du 28 février 2017. Cette aggravation de la répression en fonction du nombre de participants s’explique par le fait que le péril pour l’agent d’autorité est plus important lorsque le nombre de rebelles augmente. Il n’est pas nécessaire que tous les individus pris en compte afin d’évaluer le nombre des rebelles aient été condamnés ou poursuivis voire identifiés.

Pour la provocation directe à la rébellion, les peines encourues depuis 2007 sont de deux mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. L’intérêt pratique de cette incrimination est de permettre une répression même si la provocation n’a pas été suivie d’effet.

La répression pour les menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique sont les plus élevées : dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

Enfin, il ne faut pas négliger les peines complémentaires encourues par les personnes physiques pour ces trois infractions : l’interdiction des droits civiques, civils et de famille (comprenant notamment la tant redoutée peine d’inéligibilité), l’interdiction d’exercer soit une fonction publique soit une activité professionnelle ou sociale et enfin l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée (art. 433-22 Code pénal).

Terminons en rappelant que ce ne sont que les peines prévues par la loi pénale et non celle prononcée par le juge pénal, qui est tenu de les individualiser (et de les motiver).

Pour aller plus loin :

Par Jean-Marie Brigant.