Le Conseil constitutionnel a invalidé vendredi 6 juillet l’élection du député Thierry Robert (MoDem). Il a également été déclaré inéligible pour trois ans,  pour manquement à ses obligations fiscales, après plusieurs alertes liées à son patrimoine.

Décryptage par Romain Rambaud, professeur de droit à l’Université de Grenoble.

« Le Conseil constitutionnel utilise ici le pouvoir de vérification fiscale comme un véritable pouvoir de sanction »

Pourquoi l’élection de Thierry Robert, député MoDem, a-t-elle été invalidée ?

On ne peut pas dire du point de vue du droit, au sens strict, que l’élection de M. Thierry Robert a été « invalidée ». En effet, ce n’est pas son élection en tant que telle qui a été remise en cause ici. C’est après l’élection que les choses se sont jouées : Thierry Robert a été déclaré « démissionnaire d’office » après le Conseil constitutionnel a décidé de le rendre inéligible pour trois ans. C’est un tout autre cas de figure qu’un contentieux électoral au sens classique du terme (voir billet précédent sur ce sujet).

Ce qu’il y a de tout à fait remarquable dans cette affaire, c’est qu’il s’agit de la première fois que le Conseil constitutionnel fait application d’un nouveau dispositif prévu par la loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, la grande loi de moralisation voulue par Emmanuel Macron et adopté au début du quinquennat. Cette dernière a créé un nouvel article L.O. 136-4 du code électoral prévoyant un dispositif de contrôle de la légalité de la situation du député nouvellement élu du point de vue fiscal. C’est ce qui explique le numéro de la décision du Conseil constitutionnel, la décision n° 2018-1 OF du 6 juillet 2018 (pour obligations fiscales).

D’après ce dispositif, dans le mois suivant la date d’entrée en fonction d’un député, l’administration fiscale lui transmet une attestation constatant s’il a satisfait ou non, en l’état des informations dont elle dispose et à cette date, aux obligations de déclaration et de paiement des impôts dont il est redevable. Lorsque l’attestation fait état d’une non-conformité, le député est invité, dans un délai d’un mois à compter de la réception de cette invitation, à se mettre en conformité ou à contester cette appréciation. La sanction de ce dispositif relève d’abord de l’initiative du bureau de l’Assemblée Nationale : lorsqu’il constate une absence de mise en conformité et de contestation, le bureau de l’Assemblée nationale saisit le Conseil constitutionnel qui peut, en fonction de la gravité du manquement, déclarer le député inéligible à toutes les élections pour une durée maximale de trois ans et démissionnaire d’office de son mandat par la même décision. C’est ce qu’il s’est produit en l’espèce.

Le Conseil constitutionnel a constaté qu’au 29 janvier 2018 (date jusqu’à laquelle la régularisation auprès de l’administration fiscale était possible), Thierry Robert, qui n’a pas contesté les attestations qui lui ont été notifiées par l’administration fiscale, n’avait pas acquitté ses impôts, ni constitué des garanties suffisantes, ni conclu un accord contraignant en vue de payer ses impôts. Surtout, le Conseil constitutionnel a estimé que si, certes, Thierry Robert avait « partiellement régularisé sa situation fiscale avant l’échéance du délai qui lui était laissé à cette fin et en totalité postérieurement à ce délai », il restait que « compte tenu de l’importance des sommes dues et de l’ancienneté de sa dette fiscale qui porte sur plusieurs années et sur plusieurs impôts, il y a lieu de prononcer l’inéligibilité de Thierry Robert à tout mandat pour une durée de trois ans à compter de la présente décision et, par suite, de le déclarer démissionnaire d’office ».

L’élection n’a pas été invalidée mais Thierry Robert a été déclaré démissionnaire d’office en raison de la sanction d’inéligibilité de trois ans qu’il a prononcé, ce qui a entraîné la perte de son mandat. La démission d’office du député entraîne l’organisation d’une élection partielle afin de pourvoir le siège vacant (articles L.O. 176 et L.O. 178 du code électoral). Le Conseil constitutionnel utilise ici le pouvoir de vérification fiscale comme un véritable pouvoir de sanction : cette décision montre qu’il est décidé, ou en tout cas veut montrer qu’il pourrait l’être sur le long terme, à faire jouer à plein ce dispositif. La menace apparaît donc véritablement crédible.

Peut-il faire appel de cette décision et retrouver ainsi ses fonctions ?

En vertu de l’article 62 de la Constitution, les « décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Il n’existe donc pas d’appel et non seulement Thierry Robert ne pourra pas retrouver ses fonctions, mais il ne pourra se porter candidat à aucune élection dans les trois prochaines années. C’est une solution très sévère.

 La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) a également saisi la justice pour un doute d’omission de déclaration de patrimoine. Que risque-t-il de plus dans ce cas ?

En vertu de l’article L0135-1 du code électoral, le fait pour un député d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Peuvent être prononcées, à titre complémentaire, l’interdiction des droits civiques selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique selon les modalités prévues à l’article 131-27 du même code. La peine complémentaire prévue ici sera cependant peu utile… Le Conseil constitutionnel a déjà fait le travail.

Par Romain Rambaud