Dans une interview télévisée, le lundi 7 janvier, le Premier ministre Edouard Philippe, a annoncé la création d’un fichier anti-casseurs et a invoqué le modèle du fichier des hooligans interdits de stade. Mais avant de parler de fichier, il faut expliquer comment seront désignés les personnes auxquelles il sera interdit de manifester.

Décryptage par Jacques-Henri Robert, Expert du Club des juristes, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de Criminologie de l’Université de Paris II de 1994 à 2008.

« La liberté de manifester est constitutionnelle mais elle peut supporter des limitations légales justifiées par la poursuite d’un dessein légitime »

Qui pourrait décider de ces interdictions de manifester ?

L’interdiction de manifester est déjà une peine complémentaire prévue par l’article L. 211-12 du Code de la sécurité intérieure : elle est encourue par les manifestants violents et prononcée par les tribunaux judiciaires. Le projet du Premier Ministre est d’en faire aussi une mesure de sûreté préventive prononcée par l’autorité administrative.

Il s’est référé au précédent de l’interdiction de stade qui elle aussi peut être soit une sanction pénale (art. L 332-11 du Code du sport) soit une mesure administrative (art. L 332-16 Code du sport) : sous cette dernière forme, c’est une institution déjà ancienne puisqu’elle remonte à la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006. Le préfet du département peut prendre cette mesure par arrêté contre toute personne qui constitue une menace pour l’ordre public démontrée « par son  comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives [et] par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations ». La violation de l’interdiction est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 3.750 € d’amende.

Le modèle est facilement transposable aux manifestants qui se comportent violemment et de leur interdire préventivement de participer à d’autres manifestations ou rassemblements, sans même attendre qu’ils soient condamnés en application de l’article L 211-12 du Code de la sécurité intérieure.

Comment constituer ce fichier ?

Les arrêtés d’interdiction de manifestation ne sont utiles que si les policiers peuvent les consulter. Le support informatique qui les réunira existe et porte le nom de « fichier des personnes recherchées », institué par le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 dont le contenu s’enrichit sans cesse. Il recueille déjà les noms des personnes interdites de stade par application de l’article L 332-16 du Code du sport (art., 2, III, 9°) et il suffira d’y ajouter un alinéa visant la nouvelle interdiction de manifester.

Mais la liberté de manifester n’est-elle pas constitutionnelle ?

La liberté de manifester a valeur constitutionnelle (Cons. const. 18 janv. 1995, n° 94-352 DC) mais elle peut, comme la plupart des autres libertés publiques, supporter des limitations légales proportionnées et justifiées par la poursuite d’un dessein légitime. Son encadrement est peu contraignant.

Les principes en ont été établis par la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, et sont encore vivants, malgré de nombreuses réformes, dans le Code pénal et le Code de la sécurité intérieure : il suffit aux organisateurs de déclarer leur intention de manifester trois jours francs avant l’événement sauf au préfet à interdire la manifestation. Il existe donc bien déjà, et cela depuis la période libérale de la Troisième République, une limite importante à la liberté de manifester, mais elle est subordonnée au contrôle du juge administratif.

Si l’administration peut interdire une manifestation tout entière, elle peut a fortiori interdire à des individus particuliers d’exercer leur liberté de manifester, à condition que le législateur définisse avec précision les motifs de l’interdiction et que leur application soit  contrôlée par le juge.

 

Par Jacques-Henri Robert