Après avoir suscité de nombreuses polémiques, le Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté le 10 décembre, à Marrakech. Avec lui, les États vont-ils désormais devoir se soumettre à des règles migratoires drastiques comme cela a pu être dit ?

Décryptage sur le Blog par Thibaut Fleury Graff, professeur de droit à l’Université de Rennes 1.

«  Aucun État ne pourra se faire dicter une ligne de conduite ou une politique migratoire »

 Quelles sont les principales mesures de ce Pacte mondial pour les réfugiés et les migrants?

Ce texte découle de la déclaration d’intentions adoptée à New-York en 2016 par les États membres de l’ONU. Il vient ainsi matérialiser deux années de négociations. Cette déclaration d’intention avait été faite dans un climat de grande tension, au plus fort de la crise migratoire dans le monde.

Il convient également de rappeler qu’il n’existe pas de texte international, uniquement consacré à l’immigration. Il existe bien la Convention de Genève de 1951, mais elle s’applique exclusivement aux réfugiés – c’est-à-dire aux seuls migrants qui craignent d’être persécutés dans leur pays d’origine, pour des motifs précis et limitativement énumérés (religieux, politiques, ethniques ou d’appartenance à un certain groupe social).

Les États ont ainsi décidé d’adopter un texte pour réagir  et tenter d’encadrer les migrations. Ce n’est d’ailleurs pas qu’un « Pacte mondial sur les migrations » mais un Pacte « pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » ainsi que le précise son intitulé complet. Il fixe 23 grands objectifs. Certains d’entre eux sont des objectifs statistiques pour lesquels les États s’engagent par exemple à collecter des données afin d’élaborer des politiques publiques précises en matière de migrations.

Plusieurs principes sont également liés à l’identité des migrants : s’assurer que ceux-ci possèdent des papiers d’identité en bonne et due forme, adéquats et qu’ils puissent sur cette base jouir de l’information idoine concernant les droits dont ils peuvent bénéficier.

Plus globalement, ce pacte entend fixer des lignes directrices relatives aux migrations concernant tant les pays d’origine que ceux de transit ou de destination. Le Pacte comprend ainsi des objectifs liés au développement des pays d’origine, à la lutte contre le trafic d’êtres humains, à la sécurisation des frontières et à la cohésion sociale des pays d’accueil.

Enfin, il est bon de rappeler que bon nombre des principes qui figurent dans ce Pacte figurent déjà dans des instruments internationaux, notamment dans la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH), dans les Pactes de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques sociaux et culturels, etc… L’objectif de ce Pacte mondial dédié aux migrants était ainsi, aussi, d’avoir un texte regroupant des principes actualisés dans le domaine des migrations.

Les États signataires restent-ils totalement maîtres de leurs décisions ?

C’est le point principal sur lequel il convient d’insister dans le contexte actuel qui a vu ce Pacte mondial susciter de vives polémiques, notamment en France. L’un des premiers principes directeurs est de réaffirmer que le Pacte n’est pas contraignant juridiquement et que les États demeurent entièrement souverains. C’est-à-dire qu’aucun État ne pourra se faire dicter une ligne de conduite ou une politique migratoire.

Il s’agit donc simplement d’un ensemble de lignes directrices devant inciter les Etats à formuler leurs politiques publiques dans le sens des principes mentionnés ci-dessus, comme cela est souvent le cas en droit international, et non d’un cadre juridique stricto sensu. Juridiquement, il est donc compliqué de parler de « droit », sinon de soft law. Il s’agit de souhaits ou de recommandations et non de contraintes juridiques.

Ce texte comporte de nombreux principes variés. Une autorité de surveillance sur l’application de ces principes veillera-t-elle à son application ?

La seule chose prévue est la mise en place d’un « Forum d’examen des migrations internationales ». Il s’agit, selon les termes mêmes du texte, d’un « espace intergouvernemental dans lequel les États Membres pourront débattre et s’informer mutuellement des progrès accomplis dans la mise en œuvre de tous les aspects du Pacte mondial ». Il est prévu que les représentants des Etats se réunissent en ce sens tous les quatre ans. Il ne s’agit donc nullement de contrôle ou de surveillance, mais de suivi, par les Etats eux-mêmes, de leurs pratiques respectives en matière de migrations.

Par Thibaut Fleury Graff