Après plusieurs semaines de tension et  le dépôt d’une motion de censure, adoptée le 1er juin, le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, en poste depuis 2011, a été renversé par les parlementaires. Il est remplacé depuis par Pedro Sánchez à la tête du gouvernement espagnol.

Décryptage par Hubert Alcaraz, professeur de droit à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

« Le mécanisme de la motion de censure, tel qu’il est prévu, n’impose pas l’organisation de nouvelles élections »

Dans quel contexte Mariano Rajoy est-il évincé du pouvoir ?

Mariano Rajoy a été écarté du pouvoir à la suite de l’adoption d’une motion de censure présentée par son rival Pedro Sánchez, chef du parti socialiste espagnol (PSOE). Président du gouvernement depuis 2011, Mariano Rajoy a survécu depuis à toutes les turbulences qui ont agité la vie politique espagnole et, le 28 mai dernier encore, espérait, après être parvenu à faire approuver la loi de finances, poursuivre son mandat jusqu’à son terme au milieu de l’année 2020. Mais le 24 mai, les derniers développements judiciaires de l’affaire Gürtel avaient déjà raison de lui : la justice espagnole a établi que cette organisation avait mis en place, de 1999 à 2005, un circuit de financement illégal au bénéfice du Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy par le biais d’une comptabilité occulte, alimentée par de l’argent sale provenant de donations d’un réseau d’entrepreneurs. Luis Bárcenas, ancien trésorier du PP, a été condamné à 33 ans de prison, tandis que le parti s’est vu infliger une peine de 245 000 euros. L’Audiencia Nacional, juridiction pénale espagnole spécialisée dans les infractions les plus graves, a entendu Mariano Rajoy au cours de la procédure et a relevé, dans son arrêt, que son témoignage était « peu crédible ». La corruption a été ces dernières années une des sources principales du malaise des Espagnols, après que la justice a condamné hommes d’affaires, anciens présidents de Communautés autonomes, anciens ministres et jusqu’au gendre du Roi Juan Carlos I lui-même. Ce nouveau scandale aura eu raison de la bonne étoile de Mariano Rajoy, déjà passablement ternie par le processus sécessionniste catalan.

Comment fonctionne une motion de censure en Espagne ?

La motion de censure est prévue par l’article 113 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 et constitue l’un des deux mécanismes prévus pour mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement, responsable politiquement devant le Congrès des députés, c’est-à-dire la chambre basse du Parlement. Elle peut déboucher, comme cela a été le cas le 1er juin dernier, sur la démission du gouvernement lorsqu’elle est adoptée par la majorité absolue, soit 176 votes parmi les 350 députés que compte le Congrès. Elle doit être proposée par au moins un dixième des députés, c’est-à-dire un minimum de 35 d’entre eux.

La Constitution prévoit, en outre, que cette motion de censure doit être constructive en ce sens que ses promoteurs sont tenus de proposer un candidat à la présidence du gouvernement, tandis que le calendrier électoral, lui, reste inchangé. Une fois que la procédure a été valablement engagée, le gouvernement ne peut plus convoquer d’élections, tandis que la motion ne pourra être votée avant l’expiration d’un délai de cinq jours à compter de la date de son dépôt. Durant les deux premiers jours, les formations politiques représentées au Congrès des députés ont la possibilité de présenter des motions alternatives. Lors du vote de la motion, l’un des députés signataires est désigné pour être le premier à intervenir dans le débat et peut alors s’exprimer sans limite de temps de parole. Le candidat à la présidence, quant à lui, doit exposer son programme de gouvernement, les représentants des différentes formations politiques disposant chacun de 30 minutes d’exposition et 10 minutes de droit de réplique.

Si la motion de censure est adoptée, comme cela a été le cas, le Congrès refuse donc sa confiance au gouvernement, le président du gouvernement présente sa démission au Roi, ce que Mariano Rajoy a fait le 1er juin, conformément à l’article 114 de la Constitution. Le vote en faveur de la censure emporte également désignation comme Président du gouvernement du candidat qui est, de ce fait, considéré comme investi par la chambre. Ainsi Pedro Sánchez a-t-il été, dès le 2 juin, nommé Président du gouvernement par le Roi Felipe VI lors d’une cérémonie de prise de possession organisée au Palais de la Zarzuela.

Quand de nouvelles élections verront-elles le jour pour désigner un nouveau gouvernement ?

Le mécanisme de la motion de censure, tel qu’il est prévu, n’impose pas l’organisation de nouvelles élections puisque la motion de censure est constructive et emporte donc, en elle-même, désignation d’un nouveau chef de gouvernement, chargé de former un nouveau gouvernement. De cette façon, Pedro Sánchez a rapidement désigné une équipe composée de 17 ministres, 11 femmes et 6 hommes, officiellement nommés par le Roi le 7 juin.

Néanmoins, première motion de censure adoptée depuis le rétablissement de la démocratie en 1978, elle n’a été acquise que par un vote de 180 députés qui, plus qu’en faveur de Pedro Sánchez, ont surtout voté pour le départ de Mariano Rajoy, de sorte qu’il est possible de douter du caractère constructif de cette motion de censure. Les 180 parlementaires – députés socialistes, députés nationalistes basques et catalans, députés de la gauche radicale de Podemos – qui l’ont adoptée ne composent pas une majorité homogène, et sans doute à peine une majorité. Le nouveau gouvernement ne peut compter, de façon certaine, que sur la confiance de 84 députés socialistes, face aux 134 députés du Parti Populaire, désormais dans l’opposition. Par conséquent, il sera le gouvernement le plus minoritaire de l’histoire de l’Espagne démocratique. Il n’est donc pas impossible que les évènements à venir imposent, contrairement à la lettre des articles 113 et 114 de la Constitution, des élections anticipées.

Par Hubert Alcaraz