Les marches pour le Climat ponctuent l’actualité depuis quelques mois. Le 19 avril dernier, des milliers de militants écologistes ont bloqué La Défense pour protester contre « l’inaction climatique » du gouvernement. Le 1er mai, de nombreux rassemblements et marches climatiques ont également eu lieu un peu partout en France.

Décryptage par Mathilde Hautereau-Boutonnet, professeure de droit l’Université Lyon 3, Institut de Droit de l’Environnement.

« Les militants visent maintenant, non plus seulement les faiblesses de l’action étatique au niveau réglementaire, mais aussi les acteurs économiques, autant ceux qui exercent des activités nuisibles pour le climat que ceux qui les financent »

Les mobilisations citoyennes s’intensifient ces dernières semaines, prenant la forme de grève des jeunes pour le climat et plus récemment de désobéissance civile sous l’action du collectif d’Extinction Rébellion : que peut-on en penser ?

De manière générale, ces actions citoyennes et militantes sont le reflet de l’urgence face à laquelle nous nous trouvons en matière de climat. Si la conclusion de l’Accord de Paris conclu en 2015 avait suscité un espoir de changement, les déceptions et la colère sont maintenant bien présentes. Les militants visent désormais, non plus seulement les faiblesses de l’action étatique au niveau réglementaire, mais aussi les acteurs économiques, autant ceux qui exercent des activités nuisibles pour le climat que ceux qui les financent.  Il faut rappeler que l’ambition de l’accord est de maintenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de poursuivre « l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».

Or selon le dernier rapport de l’UNEP (programme des Nations unies pour l’environnement) sur le climat (2018), les engagements pris par l’ensemble des États ne permettront pas de maintenir le réchauffement climatique en deçà de 2 °C. Il faut pour cela revoir à la hausse les réductions des rejets de gaz à effet de serre et cela de manière urgente et drastique alors qu’elles continuent encore à augmenter. À ce rythme, selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le seuil fatidique de 1,5 °C sera franchi entre 2030 et 2052 et la surchauffe pourrait avoisiner 5,5 °C à la fin du siècle. Toute augmentation des températures au-delà de 1,5 °C aggravera encore la situation et la vie des hommes sur terre, mettant notamment à mal sa capacité à se nourrir.

Où en est la France dans ses engagements de réduction de gaz à effet de serre ?

Via sa contribution nationale, l’Union européenne s’est engagée à réduire d’au moins 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 comparé à 1990. À cette fin, la France s’est elle-même engagée dans sa stratégie nationale bas carbone adoptée dans le cadre de l’accord de Paris à réduire de 27 % ses émissions à horizon 2018 par rapport à leur niveau de 2013. Or, outre que selon certains instituts de recherche, la France ne fait pas partie des pays ayant pris des mesures suffisantes pour tenir ses objectifs, selon le premier bilan de l’Observatoire climat-énergie, loin d’être en voie de respecter ses engagements, la France a émis 6,7 % d’émissions au-delà des plafonds annuels qu’elle s’est fixée par décret. L’on comprend alors pourquoi le projet de loi relatif à l’énergie et au climat présenté au Conseil d’État mardi 30 avril a notamment pour objectif de rehausser les objectifs de la France. Il s’agirait notamment de graver dans la loi l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 et de diminuer de 40% d’ici 2030, et non plus 30% comme le prévoyait la loi sur la transition énergétique, la part des énergies fossiles dans la consommation finale.

Les récentes actions juridiques engagées contre l’État peuvent-elles ici jouer un rôle ?

Certainement. Il faut rappeler que trois recours ont déjà été déposés devant le juge administratif. À côté des deux recours engagés devant le Conseil d’État par le maire de Grande-Synthe sur le fondement de l’excès de pouvoir, le plus connu, sous le nom emblématique de « L’affaire du siècle », est celui déposé le 14 mars dernier par quatre associations devant le tribunal administratif afin qu’il juge de la responsabilité de l’État en matière de lutte contre le changement climatique (sur la portée d’un tel recours v. « L’Affaire du siècle : le recours peut-il aboutir ? » publié sur le Blog). Les requérants souhaitent obtenir réparation de certains préjudices et une injonction de faire cesser les manquements de l’État à ses obligations en matière de changement climatique et d’adopter les mesures nécessaires. Surtout, les actions devant le juge devraient à l’avenir concerner les entreprises privées.

Il ne faut pas oublier que treize collectivités territoriales et quatre associations ont annoncé vouloir agir contre Total en raison de ses manquements à son devoir de vigilance prévu par la loi de mars 2017. L’objectif de l’action serait ici d’enjoindre à l’entreprise de prendre davantage en compte le risque climatique causé par son activité dans le plan de vigilance. Tout ceci n’est pas sans rappeler les milliers de procès climatiques qui se propagent à travers le monde et qui, parfois, ont déjà mené à la condamnation des États. Pour preuve la célèbre affaire Urgenda au terme de laquelle l’État néerlandais, à la demande d’une ONG, s’est vu enjoindre en octobre dernier (par un arrêt confirmant un jugement rendu en 2015) de revoir à la hausse ses efforts en matière de politique climatique et l’affaire Leghari au Pakistan à l’issue de laquelle, un juge pakistanais en 2015 a imposé à l’État, à la suite d’un recours engagé par un agriculteur, de mettre en place une commission destinée à élaborer les mesures à adopter. Il semble donc que le militantisme pour sauver le climat soit tout à la fois dans la rue et dans les tribunaux.

Pour aller plus loin :

Par Mathilde Hautereau-Boutonnet.