La Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement convenable, Leilani Farha, a été invitée par la France en vue d’y évaluer le respect des normes applicables en la matière. La mission du 2 au 11 avril a pris la forme d’une série de visites dans différentes villes telles que Paris, Calais, Toulouse et Marseille – déterminées à l’initiative de l’experte indépendante – ainsi que de rencontres avec des représentants des institutions publiques et d’une quarantaine d’organisations de la société civile et de prestataires de services sociaux. Si son rapport définitif ne sera présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies qu’au début de 2020, la Rapporteuse spéciale a fait part, mi-avril, de ses premières impressions à travers une série de communiqués et de conférences de presse.

Décryptage par Ludovic Hennebel, professeur de droit à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, expert indépendant membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

« La France voit régulièrement dénoncer sa politique en matière de droit au logement »

Que reproche la Rapporteuse spéciale de l’ONU à la France ?

La Rapporteuse spéciale a fait part de ses préoccupations sur plusieurs thématiques en lien avec le droit au logement convenable et a formulé plusieurs recommandations. Le ton de sa déclaration est assez vif et engagé sur certains aspects, et de manière générale rend compte tant des efforts fournis par la France dans ce domaine que des marges de progression, carences et inquiétudes.

Se félicitant de la loi Dalo (droit au logement opposable) adoptée en 2007, faisant de la France le seul État européen consacrant un droit au logement directement opposable, l’experte indépendante fait part de ses réserves quant à l’application de cette législation qu’elle estime être trop limitée, à défaut de logements suffisants et fustige les autorités locales qui préfèrent s’acquitter d’amendes que de mettre en oeuvre leurs obligations en la matière. Pour le surplus, la Rapporteuse spéciale met en exergue les insuffisances du système français dans le domaine du logement, malgré divers efforts financiers et institutionnels qui sont soulignés. Elle s’inquiète ainsi de la salubrité des logements, sachant que plus de 2 millions de personnes en France vivent dans des logements privés ou publics considérés comme insalubres, qui ne répondent pas aux critères minimaux d’habitabilité et/ou exposant les résidents à des risques sanitaires.

Avec ses 40.000 logements insalubres, la ville de Marseille se démarque tout particulièrement, et la responsabilité des autorités locales est explicitement mise en avant. La politique fondée sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) est également mise à l’index en raison de ses effets de ghettoïsation – en particulier en banlieues –, marqués par leur isolement, la pauvreté, un taux de chômage élevé, des infrastructures inadaptées et saturées, et une stigmatisation de sa population. L’experte indépendante dénonce par ailleurs les conditions de logement “désastreuses” des migrants à Calais [rappelant également la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Khan jugée le 28 février 2019], exposés à des expulsions forcées répétées; les expulsions forcées et systématiques des campements, des établissements informels et des squats, et ce sans solutions alternatives de logement convenable; les mécanismes saturés et inadaptés visant à adopter des mesures d’urgence et temporaires pour lutter contre le sans-abrisme, en lieu et place de la mise en oeuvre de solutions pérennes, stables et dignes.

Qu’est qu’un droit opposable au logement ?

En France, la loi Dalo, mentionnée ci-dessus, consacre un droit à un logement décent et indépendant garanti par l’Etat à “toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir”. Cette législation a donc consacré un droit subjectif opposable à l’État par les personnes remplissant certaines conditions, qui s’exerce par un recours amiable ou contentieux, permettant inter alia au juge d’ordonner la mise à disposition d’un logement auprès des autorités locales.  Le droit à un logement d’un niveau suffisant – ou convenable – est par ailleurs protégé en droit international des droits de l’homme dans une série d’instruments auxquels la France est partie, dont l’article 31 de la Charte sociale européenne révisée ainsi que l’article 11§1 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Le bilan dressé par la Rapporteuse spéciale ne doit pas surprendre. Les constatations qu’elle évoque sont notoires dans la pratique du droit international des droits de l’homme, et la France voit régulièrement dénoncer sa politique en la matière, et engager ponctuellement, depuis plus de dix ans, sa responsabilité internationale pour violation de ses obligations dans le domaine du droit au logement, notamment dans le cadre de la procédure contentieuse du Comité européen des droits sociaux.

Quelles sont les conséquences possibles pour la France de la visite de la Rapporteuse spéciale ?

En fonction de leur mandat, les rapporteurs ont la compétence d’effectuer des visites sur le territoire d’États membres des Nations Unies, avec leur consentement, en vue d’évaluer l’état d’avancement des droits de l’homme ou d’un droit de l’homme en particulier. Ils ont un pouvoir recommandatoire, non contraignant au plan strictement juridique. Toutefois, leur force de persuasion est ailleurs. En l’occurrence, la Rapporteuse spéciale diffuse largement ses constatations, selon lesquelles la France ne respecte pas ses engagements internationaux de mise en oeuvre du droit au logement convenable, par divers réseaux médiatiques et diplomatiques, ce que le gouvernement ne peut ignorer pour des raisons évidentes de réputation internationale.

Par ailleurs, ce type de rapport est un argument majeur susceptible d’être utilisé, notamment par la société civile, dans un cadre contentieux, y compris auprès des juges internes, mais plus encore devant les organes internationaux de protection des droits de l’homme, dont la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité européen des droits sociaux ou encore les Comités conventionnels des Nations Unies. Ces instances sont également en mesure de constater le cas échéant la violation par la France de ses engagements internationaux en la matière et il est évident que les constatations d’un Rapporteur spécial des Nations Unies constituent un argument de poids en vue de les convaincre.

Pour aller plus loin :

Par Ludovic Hennebel.