Un élu Rassemblement national, Julien Odoul, lors d’une séance du conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, vendredi 11 octobre, a demandé à ce qu’une accompagnatrice d’élèves en visite, retire son foulard au nom du principe de neutralité, affirmant qu’il s’agit d’une exigence de la loi et de la lutte contre le communautarisme. La polémique sur le voile se poursuit et Emmanuel Macron a rappelé de son côté, il y a quelques jours, qu’il est « irresponsable de stigmatiser une partie de la communauté nationale ».

Décryptage par Xavier Bioy, Professeur de droit à l’université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou, Codirecteur du Master « Droit des libertés ».

«  Le principe de neutralité se trouve accru dans le domaine scolaire dans le but de ne pas exercer de pression sur les jeunes esprits en formation »

Qu’est-ce que le principe de neutralité et de laïcité ?

Le principe de neutralité a été invoqué. Les fondements de ce principe sont connus : l’article 1 de la Constitution ; Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, 13e al.), statut de la fonction publique d’État (L. 2016-483, 20 avr. 2016, et circ. du 15 mars 2017).

À la fois manifestation du principe d’égalité lorsqu’il est question des services et agents publics, lesquels ne doivent pas changer de comportement en fonction des usagers, et à la fois du principe de laïcité puisque ces agents ne doivent pas influencer les usagers par l’affichage de leurs convictions. Il se trouve accru dans le domaine scolaire dans le but de ne pas exercer de pression, de prosélytisme, sur de jeunes esprits en formation qui ne bénéficieraient pas d’esprit critique ou de tolérance, ce qui pourrait être source de tensions. Contrairement à ce que l’on entend ou lit ces derniers jours, son champ d’application demeure ambigu.

Tout d’abord, il est question de lieux. L’élu régional a implicitement estimé que le voile devrait être retiré s’agissant d’un lieu public, mieux, d’une enceinte politique. Le principe de neutralité n’est pourtant pas strictement lié à une dimension territoriale, laquelle n’est souvent que l’indice de la nature de l’activité qui demeure le vrai critère. Ainsi, dans le cadre du service public de la justice, ce n’est pas le palais de justice qui requiert de retirer le voile mais le fait d’intervenir dans la procédure judiciaire (CA Versailles, 18e ch., 2 mai 2018, n° 17/04172 et CEDH 18 sept. 2018, Lachiri c. Belgique, req. n° 3413/09). Il peut néanmoins s’agir de maintenir l’ordre dans ces lieux pour y exercer sereinement la justice, la décision politique ou l’éducation. Ainsi, l’interdit s’applique si le signe religieux ne permet pas d’identifier la personne, ou s’il est porté de manière à faire pression (en complément d’un comportement revendicatif), y compris dans l’enceinte du Conseil régional (mais ce n’était pas le cas ici).

Il est ensuite question d’activité, car les médias ont porté le sujet « dans le cadre des sorties scolaires ».

Les parents accompagnateurs sont-ils soumis à ce principe ?

La loi du 15 mars 2004 a été alimentée par la circulaire (N°2004-084 du 18-5-2004) qui excluait d’étendre l’interdit du voile aux parents, puis par la circulaire « Chatel-Blanquer » (n° 2012-056 du 27-3-2012) disant que le contraire est possible : « ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires.») et par des jurisprudences contradictoires (not. Délibération du 17 mai 2007 de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ) : l’interdit est discriminatoire ; TA Montreuil, 22 nov. 2011, n° 1012015 qui s’appuie sur la « participation au service public » et TA Nice, 9 juin 2015, n° 1305386 pour lequel les parents sont assimilés aux enfants).

En 2013, le Conseil d’État a rendu une étude importante, à la demande du Défenseur des droits, Dominique Baudis, qui évoquait la possibilité de dissocier « service public » et « activités d’intérêt général » pour établir une sorte de statut du « participant au service public » qui ne soit pas le « collaborateur occasionnel » connu du seul droit de la responsabilité. Dans cet avis, il est indiqué que les accompagnants ne sont pas soumis au principe de neutralité au motif que : « entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de « collaborateurs » ou « participants » qui serait soumise en tant que telle à l’obligation religieuse ». Le point de vue est celui des droits fondamentaux de l’adulte. Mais cela l’assimile à un usager. L’argument est contradictoire : d’une part, cela révèle une conception trop large de l’usager (les familles d’usagers sont-elles elles aussi toujours des usagers ?), d’autre part, cela impliquerait au contraire qu’ils soient soumis à l’interdit de porter des signes ostensibles, comme leurs enfants eux-mêmes.

Les hésitations perdurent. La CAA de Lyon (23 juillet 2019, N° 17LY04351) a ainsi posé que « le principe de laïcité de l’enseignement public impose que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité » ; ce qui conduit à admettre la légalité d’un règlement intérieur qui impose d’enlever le voile à l’intérieur de l’établissement.

Une fois réglée la question de l’application de la neutralité, éventuellement dans le sens de son application, il reste à le confronter à la double liberté de conscience et d’expression de l’accompagnateur. La conciliation entre les deux ne peut s’opérer qu’en prenant en compte les intérêts en présence, car le principe de neutralité constitue aussi la face objective de la liberté de conscience des élèves et des autres parents et personnels de l’éducation nationale.

Cela peut-il évoluer ?

À supposer que l’objectif du débat soit l’intérêt de l’enfant. Il n’est pas certain que l’enfant voit le monde comme les adultes et perçoive la différence entre un adulte (en charge du service public) et un autre (maman d’un camarade), tous deux qui l’accompagnent et l’éduquent par la parole et l’exemple, et qu’il s’évite ainsi de se poser des questions. Une conception trop « organique » des individus et des rôles peut conduire à méconnaître les objectifs républicains de la norme autant que le droit à l’éducation des enfants et des parents.

D’un côté, une conception, parfois dite « ouverte », consiste à penser qu’il serait bon de se confronter dès le plus jeune âge à la diversité des cultures, religions et points de vue sur le monde, laissant au pluralisme le soin de former les jeunes, de s’inscrire dans « sa » famille ou de prendre argument contre elle.

De l’autre, l’interdiction du voile pour les enfants scolarisés et pour les agents publics a semble-t-il pour but de créer un « espace public » symbolique, quel qu’en soit le lieu réel (école, piscine, centre aéré, visites diverses…), qui n’amène pas le jeune esprit à s’interroger trop tôt sur son identité, son appartenance, ses différences, mais sur ce qui rassemble en termes d’apprentissages et de savoir-vivre : le « commun ».

L’idée serait donc de ne pas autoriser de signes qui appellent ce type d’interrogations avant que le jeune ne grandisse et n’adopte ce qui lui appartient en propre, éventuellement par une communauté. Là est le projet républicain acté par la loi de 2004 : donner dans l’école la respiration et la possibilité du pluralisme que les communautés n’offrent pas.

Si tel est l’esprit de la loi, on comprend mieux pourquoi certains en appellent à un ajout dans la loi, impliquant d’étendre la neutralité à tous les acteurs de la « communauté (là-aussi), éducative » (cf. article L. 111-1 du Code de l’éducation). L’ingérence dans les droits fondamentaux de l’adulte accompagnant ne serait sans aucun doute pas disproportionnée s’agissant d’une situation non obligatoire et ponctuelle, adéquate au regard de l’objectif de neutralité conçu comme conciliateur des droits de l’enfant et de ceux de l’adulte (la laïcité étant un fondement possible de QPC). Les sénateurs avaient déjà adopté, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur « l’école de la confiance », un amendement (pourtant rejeté pragmatiquement par Jean-Michel Blanquer) qui visait à interdire le port du voile lors des sorties scolaires.

Ainsi, le ministre de l’Éducation a indiqué que le port du voile, « non interdit, n’est pourtant pas souhaitable ». Le Premier ministre, au contraire, a semble-t-il à la fois fait primer la liberté de la mère accompagnatrice et la nécessité politique de ne pas raviver de querelle laïque.

Pour aller plus loin :

Par Xavier Bioy.