La Cour de cassation a annulé en partie mercredi 12 décembre dernier la condamnation de Cédric Herrou et d’un autre militant, condamnés en appel pour avoir porté assistance à des migrants.

Décryptage par Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

« La fraternité n’avait jamais été considérée jusque-là comme une norme de référence du contentieux constitutionnel »

Pour quels motifs Cédric Herrou était-il poursuivi ?

 A côté des incidences de l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 décembre 2018 sur la situation pénale de Cédric Herrou, ce qui évidemment n’est pas sans importance, celui-ci pourra se vanter de laisser son nom dans les annales des juridictions. Du moins ses initiales, puisque les publications officielles des décisions de justice pratiquent un anonymat destiné à protéger la vie privée alors que, dans cette affaire, le requérant a recherché, pour des raisons militantes, à attirer l’attention des médias sur son cas, c’est-à-dire sur celui de la défense des migrants. Les journaux de la « grande presse » ne se sont d’ailleurs pas embarrassés de cette précaution inutile et ont cité abondamment son nom.

Cédric Herrou avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence par un arrêt du 10 février 2017 pour avoir facilité la circulation et le séjour des migrants, soit quelque deux cents Soudanais et Érythréens et pour les avoir aidés à passer la frontière italo-française.

Il était poursuivi sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)qui punissent l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’étrangers en France, mais il avait invoqué le bénéfice de l’article L. 622-4 qui prévoyait une immunité pénale lorsque l’aide apportée au séjour et à la circulation n’avait « donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».

Que dit la décision de la Cour d’appel ?

La Cour d’appel avait estimé que ni lui, ni Pierre-Antoine Mannoni, que la médiatisation ambiante a un peu laissé dans l’ombre, ne pouvaient en bénéficier. Ce dernier avait été condamné en appel à deux mois de prison avec sursis par la même Cour d’appel d’Aix en Provence, pour avoir, transporté trois migrantes afin de les héberger provisoirement et il fait l’objet d’un autre arrêt de la Cour de cassation. C’est lors de leur pourvoi en cassation que les deux requérants ont soulevé une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en se fondant notamment sur le principe de fraternité. De manière novatrice, le Conseil constitutionnel, à qui la Cour de cassation avait renvoyé la QPC, avait en effet jugé par une décision du 6 juillet 2018, « que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle ». Il s’était fondé sur plusieurs dispositions de la Constitution faisant référence à la fraternité, dont son préambule et son article 72-3, mais aussi – et surtout- l’article 2 alinéa 4 de la Constitution qui proclame que « La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité » ». Alors que les deux premiers éléments de ce triptyque républicain ont été utilisés à de nombreuses reprises dans le contentieux constitutionnel, mais avec d’autres fondements textuels que cet article 2, la fraternité n’avait jamais été considérée jusque-là comme une norme de référence du contentieux constitutionnel. De ce principe nouvellement identifié par le Conseil constitutionnel découle « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». Le Conseil avait pris soin de distinguer l’aide au séjour, désormais légale, et l’aide à l’entrée sur le territoire national, qui continue de constituer un délit, tout en renvoyant les effets de cette inconstitutionnalité au 1er décembre 2018.

La Cour, devant laquelle le litige revenait après la décision du Conseil,  devait ainsi tirer les conséquences de cette dernière. Entre-temps, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie avait en quelque sorte pris en compte la décision du Conseil en modifiant la rédaction de l’article L. 662-4 afin d’élargir le champ d’application de cet article pour faire obstacle aux poursuites pénales lorsque l’aide à la circulation et au séjour irrégulier « a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ». L’immunité pénale est ainsi définie de manière beaucoup moins restrictive.

Cette nouvelle rédaction était postérieure à la commission des faits qui remontaient au mois d’octobre 2016. L’article 71 de la même loi du 10 septembre 2018, peut-être afin de prévenir ce type de conflits d’application des lois dans le temps, avait décidé que la loi était d’application immédiate. Cet article entre en outre dans le champ d’application du troisième alinéa de l’article 112-1 du code pénal selon lequel « les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ». Le célèbre principe de « la loi pénale plus douce » trouve à s’appliquer ici.

Quelles vont être les suites judiciaires concernant Cédric Herrou ?

Pour sa défense devant la première cour d’appel, Cédric Herrou avait invoqué le caractère humanitaire de son action, ce qu’il appartiendra au nouveau juge du fond, c’est-à-dire à la Cour d’appel de Lyon,  d’apprécier après l’annulation de l’arrêt, alors même que la matérialité des faits n’était contestée par personne. Il n’appartient pas en effet à la Cour de cassation de se prononcer au fond, elle qui ne juge qu’en droit. C’est donc tout autant de la loi nouvelle que de la décision du Conseil constitutionnel précitée que Cédric Herrou bénéficie, même si la Cour de cassation constate que cette loi tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel. Il est à noter que la Cour ne fait d’ailleurs aucune référence au principe de fraternité qui était au cœur de la décision du 6 juillet, ni au fondement constitutionnel de ce principe.

Après l’arrêt de la Cour de cassation, les défenseurs de Cédric Herrou se sont persuadés que cette affaire se conclura par la relaxe du prévenu au moins pour les faits de l’espèce. En effet, il  a reconnu s’être aussi rendu à plusieurs reprises à Vintimille afin de prendre en charge d’autres migrants, dans le but de les conduire à son domicile ou dans des locaux désaffectés de la SNCF situés du côté français. La justice n’a donc pas fini d’entendre parler de Cédric Herrou !

Par Michel Verpeaux