Marcel Campion a suscité de vives réactions après la diffusion d’une vidéo dans laquelle, le « Roi des forains » est aperçu, tenant des propos homophobes lors d’une réunion publique organisée en janvier 2018 et diffusée le 22 septembre sur internet. Certains élus de la ville de Paris réclament depuis au Ministère de la Culture l’annulation pure et simple du marché de Noël qui doit être organisée dans le jardin des Tuileries.

Décryptage par Sébastien Hourson, professeur de droit à l’Université de Clermont-Ferrand.

« Le prestataire pourrait obtenir une indemnisation substantielle en raison des préjudices supportés »

 Quels sont les pouvoirs de la ville de Paris ?

Aussi étrange que cela puisse paraître, la ville de Paris dispose de faibles pouvoirs quant à l’organisation de ce marché de Noël sur son propre territoire. En effet, cette manifestation est organisée sur un domaine public – le jardin des tuileries – qui est rattaché depuis le 1er janvier 2005 à l’établissement public du musée du Louvre pour veiller à sa valorisation culturelle. En d’autres termes, le lieu des festivités relève d’une personne publique distincte de la ville de Paris. C’est donc au musée du Louvre de se charger de la conservation et de l’exploitation des Tuileries, comme en témoigne la signature du contrat litigieux pour la tenue du marché de Noël. Du point de vue juridique, la ville de Paris est donc extérieure à cette convention, elle est un tiers dont les pouvoirs sont réduits pour la préservation de la chose convenue entre les parties ; c’est-à-dire l’établissement public et la société « Le monde festif ». Sans aucun doute, les déclarations constituent essentiellement des arguments politiques, dans une opposition très vive, et non des demandes juridiques… Tout au plus, la ville pourrait former un recours devant le juge du contrat de premier ressort, mais les moyens se trouveraient en tous les cas circonscrits.

Pour quels motifs est-il possible d’obtenir l’annulation du marché de Noël ?

Dans la mesure où le contrat signé entre l’établissement public musée du Louvre et la société « Le monde festif » porte sur l’occupation d’un domaine public pour l’organisation des festivités de Noël, il est possible qu’il soit qualifié de contrat administratif. Pour s’en assurer, il faudrait pouvoir consulter les documents contractuels. Cela permettrait notamment d’examiner la nature de la mission confiée au prestataire. Certes, le marché de Noël présente un intérêt général au regard de l’animation touristique, mais son caractère traditionnel pourrait sembler douteux… De sorte que la présence d’un service public n’est nullement évidente. Quoi qu’il en soit, pour annuler le contrat, l’établissement public pourrait utiliser plusieurs motifs classiques, dont la faute commise par le prestataire, ce qui paraît peu probable en l’état de l’exécution contractuelle, ou un motif d’intérêt général, qui peut tenir par exemple dans des considérations d’ordre public. Une hypothèse « nucléaire » résiderait, en outre, dans l’utilisation par la maire de Paris de son pouvoir de police générale, au lieu d’en appeler aux contractants, pour interdire les festivités en raison de menaces de troubles à l’ordre public (art. L. 2512-13 du Code général des collectivités territoriales). Mais la possibilité de ces troubles, comme l’annonce de violentes manifestations, n’est pas établie à ce jour et, de surcroît, une annulation radicale des festivités pourrait être jugée disproportionnée par la justice administrative. La ville dispose de faibles moyens pour influer directement sur la relation conventionnelle.

Une piste envisageable consisterait à discuter la passation de la convention qui autorise l’occupation du domaine en vue d’une exploitation économique. En effet, la loi prévoit que « l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester » (art. L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques). Même sans données précises, il semble que le contrat prévoyant l’occupation domaniale réponde à cette hypothèse. Or il n’est pas certain que les mesures de publicité et de mise en concurrence nécessaires aient été suivies. La conclusion intuitu personea, sur proposition de la société prestataire selon les déclarations du musée du Louvre, cause inévitablement des torts pour les autres acteurs du secteur. Toutefois, il n’est pas évident que ce moyen puisse prospérer, notamment en raison de l’intérêt communal. La ville pourrait-elle valablement contester la passation pour ce motif alors qu’elle n’est pas, elle-même, un opérateur concurrent sur le « marché du marché de Noël » ? Rien n’est moins sûr…

Quelles seraient les conséquences d’une annulation du marché de Noël ?

Même si l’hypothèse semble baroque, on ne doit pas négliger les conséquences juridiques attachées à une résiliation du contrat permettant l’organisation du marché de Noël. Selon les motifs de cette décision – peu probable – le prestataire pourrait obtenir une indemnisation substantielle en raison des préjudices supportés. En particulier, la société qui propose ces festivités peut espérer générer plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires en fonction de la fréquentation touristique. Cette espérance légitime justifierait un préjudice économique susceptible d’être indemnisé. Hors du combat politique, les intérêts financiers reprendraient ainsi leurs droits !

Par Sébastien Hourson