Emmanuel Macron et Angela Merkel ont récemment réitéré leur souhait de mettre en place une armée européenne, suivi.

Décryptage des enjeux de l’éventuelle mise en place d’une armée de l’Union européenne par Denys Simon, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Membre du Club des juristes.

« La mise en place d’une Union de défense européenne vise également à réduire la dépendance des États membres vis-à-vis des États-Unis »

Quel est le sens du projet d’armée européenne présenté par le Président de la République, Emmanuel Macron ?

Le 6 novembre 2018, le Président Macron, dans un entretien sur Europe 1, a appelé de ses vœux la création d’une « vraie armée européenne ». Il relançait ainsi une idée déjà avancée dans son « discours de la Sorbonne » prononcé le 26 septembre 2017, dont certains passages sont révélateurs de l’ambition ainsi affirmée : « En matière de défense, notre objectif doit être la capacité d’action autonome de l’Europe…, ce qui implique « une culture stratégique commune » ou au moins une « culture stratégique partagée ». En écho, la Chancelière allemande Angela Merkel dans son intervention du 13 novembre 2018 devant le Parlement européen à Strasbourg appelait à « élaborer une vision nous permettant un jour de créer une véritable armée européenne ».

Ces déclarations peuvent surprendre à quelques jours des discours mémoriels et pacifistes qui ont marqué les célébrations du centenaire de l’armistice du 11 novembre 2018, et alors que l’idée même d’une armée commune semblait enterrée depuis plus de soixante ans, notamment depuis l’échec retentissant du projet de Communauté européenne de défense. Pourtant cette multiplication des prises de position sur la défense européenne, explicable par les évolutions géopolitiques plus ou moins récentes, ne peut que retenir l’attention. Certes, la sémantique d’armée européenne relève sans doute largement des éléments de langage nécessaires à la communication médiatique sur la construction d’une défense commune, tant il est difficile de faire comprendre l’objet des mesures adoptées depuis 2017, telles que les notions de « Coopération structurée permanente (CSP) » ou d’« Initiative européenne d’intervention (IEI) », de mobilité militaire ou encore de « Fonds européen de défense ».

Mais il est indéniable que les objectifs fixés par les articles 42 et 46 du Traité sur l’Union européenne se concrétisent ainsi sous la forme d’une coopération renforcée entre les États membres, que les autorités françaises et allemandes entendent faire progresser en vue de réduire la dépendance de l’Europe par rapport à l’OTAN.

Précisément, le projet d’armée européenne ne remet-il pas en cause le système de défense au sein de l’OTAN. ?

Contrairement aux réactions suscitées immédiatement par les perspectives indiquées par le Président français, le dispositif envisagé ne remet pas en cause le fonctionnement de l’OTAN, ni a fortiori le respect par les États européens du traité de l’Atlantique nord. On peut rappeler que les dispositions du traité sur l’Union européenne relative à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) prévoient explicitement que la PSDC « respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». Tant Emmanuel Macron que Angela Merkel ont d’ailleurs répété avec insistance que la construction d’une défense européenne était complémentaire par rapport aux mécanismes de l’Alliance atlantique, ne serait-ce que parce que le renforcement des capacités opérationnelles des États européens conduira nécessairement à un renforcement corrélatif des moyens d’action de l’OTAN. En revanche, il est indiscutable que la mise en place d’une Union de défense européenne vise également à réduire la dépendance des États membres vis-à-vis des États-Unis, en particulier en développant des projets d’investissements communs destinés à accroître l’autonomie des forces armées européennes en matière d’équipement des forces terrestres, navales et aériennes, notamment grâce aux financements du Fonds européen de défense, qui devrait être doté de 13 milliards d’euros sur les sept ans de programmation budgétaire 2020-2027.

Quelles sont les composantes et les perspectives d’une Europe de la défense ?

Contrairement à certaines interprétations hâtives, il ne s’agit en aucun cas de créer une armée propre à l’Union avec des contingents intégrés et un État-major totalement déconnecté des structures militaires nationales.

En réalité, les principaux axes de la construction d’une Europe de la Défense passent par la mise en place d’une « coopération structurée permanente », c’est-à-dire d’un cadre normatif destiné à organiser la coopération militaire entre les 25 sur les 28 Etats membres qui y ont consenti (à l’exception du Danemark, de Malte et évidemment du Royaume-Uni) autour d’engagements contraignants adoptés le 6 mars 2018 en vue de mettre en œuvre des projets communs, notamment en matière de cyberdéfense et d’interopérabilité des forces armées.

Parallèlement, l’« Initiative européenne d’intervention », lancée le 25 juin 2018, qui regroupe 9 États membres (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, France, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni, auxquels s’est ajoutée la Finlande le 7 novembre 2018) vise à créer une culture stratégique commune, par la planification préventive de futures interventions opérationnelles potentielles, ainsi qu’une coopération dans le domaine du renseignement, de la cyberdéfense et de la lutte contre le terrorisme et les « attaques hybrides » La souplesse des conditions d’adhésion à l’IEI permet la participation d’Etats membres bénéficiant d’un « opting out » à l’égard de la politique de sécurité et de défense commune, comme le Danemark, ou le maintien de la participation d’États qui ne seront plus membres de l’UE, comme le Royaume-Uni après le Brexit. Les premières réunions se sont tenues à Paris du 7 au 9 novembre 2018, au niveau des ministres de la défense et des chefs d’État-major des 10 États participants.

Il apparaît donc que ces différentes composantes d’une Europe de la défense sont certes moins spectaculaires que l’idée floue d’armée européenne, mais que le pragmatisme qui les sous-tend ouvre des perspectives intéressantes, sans porter atteinte aux choix stratégiques fondamentaux des États membres et sans justifier par conséquent la reprise incantatoire du chant des sirènes souverainistes.

Par Denys Simon