Après deux COP d’étape, en 2016 et 2017, la COP 24 (ou 24ème réunion des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992) était très importante, car devait y être adopté un ensemble de décisions destinées à opérationnaliser l’Accord de Paris et permettre sa mise en œuvre à partir de 2020. D’apparence technique, les décisions à prendre étaient essentielles pour la robustesse de l’Accord de Paris.

Décryptage par Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherches au CNRS.

« Mises bout à bout, les contributions nationales amènent plutôt la planète vers une hausse de 3°C à la fin du siècle et davantage par la suite »

 La conférence a-t-elle produit des résultats positifs ?

On pouvait craindre des décisions faibles voire pas de décision du tout, en raison du contexte international difficile. Or, malgré ces vents contraires, la COP est parvenue à se mettre d’accord sur un « paquet » assez robuste. La transmission des contributions nationales est désormais encadrée par des lignes directrices précises et détaillées. Le mécanisme destiné à garantir la transparence est relativement fort et commun pour l’essentiel à tous les pays, dont les premiers rapports seront dus au 31 décembre 2024. Il concerne aussi bien les contributions nationales des États, que les financements fournis et reçus. Les informations transmises seront revues par des experts et rendues publiques par le secrétariat. L’ensemble du dispositif va améliorer la clarté, la précision et la comparabilité des contributions nationales, ainsi que la transparence et prévisibilité des financements, ce qui est essentiel pour mesurer l’écart entre la réalité et la trajectoire nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et pour construire la confiance entre les uns et les autres. Les États seront plus enclins à s’engager s’ils sont assurés que chacun tient ses promesses. Outre le bilan mondial des efforts qui aura lieu tous les 5 ans et pour la première fois en 2023, la COP a défini le mandat du comité chargé de faciliter la mise en œuvre et de promouvoir le respect des dispositions de l’Accord de Paris est établi. Elle n’est en revanche pas parvenue à un accord sur les échanges internationaux de quotas carbone. La décision sur ce point est reportée à la COP suivante, ce qui est un moindre mal, car un mauvais accord aurait pu menacer l’intégrité environnementale de l’ensemble des efforts d’atténuation des changements climatiques.

 Qu’en est-il s’agissant du relèvement de l’ambition des mesures de lutte contre les changements climatiques ?

 Le résultat de la conférence est bien décevant de ce point de vue. La COP 24 devait marquer l’aboutissement de différents processus et discussions sur le relèvement de l’ambition, à la lumière du récent rapport produit par le GIEC sur les conséquences d’une augmentation des températures de plus de 1,5°C. Sans être prescriptif, puisque ce n’est pas le rôle du GIEC, ce rapport est un puissant incitant à agir plus fortement et urgemment.

On savait dès Paris en 2015 que les contributions des États étaient insuffisantes pour atteindre l’objectif ambitieux de l’Accord de Paris, celui de contenir ‘l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C. Mises bout à bout, les contributions nationales amènent plutôt la planète vers 3°C à la fin du siècle et davantage par la suite. Et encore faudrait-il que ces contributions soient mises en œuvre. Or, pour l’instant, les pays du G20 sont sur la voie de remplir leurs engagements pour 2020, mais pas pour 2030. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont d’ailleurs reparties à la hausse en 2017. Si les ambitions des contributions nationales ne sont pas revues à la hausse pour 2030, il deviendra impossible de respecter l’objectif de 1,5°C.

C’est pourtant l’attentisme qui domine encore. Avant de se mettre d’accord sur un compromis plus ou moins satisfaisant, la COP s’est symboliquement déchirée sur ce qu’il convenait de faire du rapport du GIEC. Ne fallait-il pas l’accueillir favorablement comme le proposaient les Maldives, au nom du groupe des petits États insulaires, soutenues en cela par un grand nombre d’États et l’Union européenne ? L’Arabie Saoudite, soutenue par le Koweït, la Russie et les États-Unis, s’y est pourtant opposée, préférant que la COP en « prenne note ». La décision 1/CP.24 souligne l’urgence d’une ambition renforcée, mais aucune décision de Katowice ne fait formellement obligation aux États de relever le niveau d’ambition de leurs contributions.

Une cinquantaine de pays (incluant la France, le Canada, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne ou la Norvège) disent explorer la possibilité de réviser leur contribution, mais seules les Iles Marshall ont officiellement transmis une contribution révisée plus ambitieuse. Du fait de ses divisions internes, l’Union européenne, jusqu’ici bon élève, n’est pas parvenue à prendre une décision en amont de la COP, en dépit des propositions de relever le niveau d’ambition de sa contribution, qui est actuellement de 40% de baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990 à 45% (proposition de la Commission européenne), voire 55% (proposition du Parlement européen). Toutefois, rien n’est perdu… Les pays peuvent à tout moment relever ce niveau d’ambition et l’année 2019 créera pour cela des moments favorables politiquement. Ce sera notamment le cas du G7, du G 20 et du Sommet sur le climat « Une planète à sauver. Une course à gagner » qu’organisera le Secrétaire général des Nations unies en septembre. Les opinions publiques, qui se montrent de plus en plus concernées, ne doivent donc pas relâcher la pression sur leurs gouvernements.

 Les COP sont-elles toujours utiles ?

 On a pu se poser la question… Les processus de négociations sont lents et chaotiques, mais finalement irremplaçables. Les COP viennent chaque année remettre sur l’agenda la question climatique, pour l’ensemble des pays du monde. On compte beaucoup et avec raison sur les acteurs infra et non étatiques pour mettre en œuvre l’Accord de Paris, mais ils ont besoin de signaux politiques forts, cohérents et d’un cadre réglementaire adéquat. Que la COP 24 ait réussi à adopter le manuel d’application de l’Accord de Paris dans un contexte géopolitique aussi difficile est un bon point. Comme l’a dit la secrétaire exécutive, Patricia Espinosa, à l’issue de la réunion, le processus a fait à nouveau la preuve de sa résilience. Au-delà, c’est une manche gagnée pour le multilatéralisme et les Nations Unies. Bien sûr, la planète est encore loin d’être « sauvée » et ne le sera pas si les États ne s’engagent pas très rapidement vers plus d’ambition. C’est l’enjeu de 2019. Le Brésil de Bolsonaro ayant renoncé à son organisation, rendez-vous est pris au Chili, en novembre prochain, pour la COP 25, mais l’année 2019 sera ponctuée de rendez-vous importants sur la route de Santiago.

Par Sandrine Maljean-Dubois