Le 10 septembre dernier, à l’approche des élections législatives du 17 septembre 2019, Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien sortant a déclaré que s’il était reconduit au pouvoir, il annexerait unilatéralement la vallée du Jourdain et la partie nord de la mer Morte en Cisjordanie. Il s’agit d’une zone agricole fertile qui représente autour de 30 % de la Cisjordanie, et peut-être aussi une zone d’intérêt militaire. On dénombre 65 000 Palestiniens et 11 000 colons israéliens.

Décryptage par Habib Gherari, Professeur de droit à l’Université d’Aix-Marseille.

« En droit, une annexion est illégale si elle est décidée unilatéralement »

Israël a-t-il le droit d’annexer la vallée du Jourdain ?

En droit, cette annexion serait tout simplement illégale si, comme cela semble annoncé, elle était décidée unilatéralement par les seules autorités israéliennes sans accord des Palestiniens. Si l’annexion de la Crimée a été jugée illégale, il en va a fortiori de même ici. S’y oppose le principe universellement reconnu  selon lequel « [l]e territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force. » Conclusion identique ou proche lorsqu’il s’agit d’une annexion de facto (exemple des colonies israéliennes dans les territoires occupés palestiniens).

Autre obstacle de poids, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, puisque ce projet ne dit rien sur l’accord des Palestiniens, ni d’ailleurs sur le devenir de ceux qui y habitent une fois l’annexion opérée. Le droit de l’occupation va dans le même sens : la Cisjordanie a le statut de territoire palestinien occupé (TPO), et ce depuis la guerre des Six Jours de juin 1967 (mais Israël les voit comme des territoires « libérés » ou au mieux « disputés »). Israël a donc le statut d’occupant, statut censé être provisoire mais qui dure depuis 52 ans. L’annexion va évidemment plus loin que l’occupation ; c’est le rattachement d’un territoire à un autre, l’incorporation totale du territoire annexé dans celui de la puissance occupante. Or, l’occupation n’implique aucun droit de disposition sur tout ou partie du territoire occupé. Seul un traité de paix pourra, si tel est le vœu des parties concernées, se prononcer sur ce point. En bref, si les colonies de peuplement ont été jugées comme autant de violations du droit international, notamment par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif dans l’affaire du mur, a fortiori en sera-t-il de même pour l’annexion.

L’ONU a mis en garde Israël. Que peut-elle faire ?

À supposer réalisée cette promesse électorale, l’ONU ne resterait pas sans réaction. Le Conseil de sécurité risque de ne pas être capable de réagir. La très grande proximité entre l’administration Trump et Benyamin Netanyahou est bien connue pour que les États-Unis ne jouent pas de leur véto contre l’adoption d’une résolution négative pour Israël.

Cette même administration  a fait transférer, en mai 2018, l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, alors que  l’annexion de Jérusalem-Est par Israël avait été condamnée maintes fois par l’ONU. De même, les États-Unis viennent de reconnaître, en mars 2019, l’annexion du Golan (territoire syrien occupé) par Israël alors même qu’ils en avaient voté la condamnation en 1981, considérant cette annexion comme « nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international » (résolution 497).

La parenthèse ouverte par la présidence de Barack Obama, qui a permis la condamnation par le Conseil de sécurité des colonies israéliennes en territoire palestinien et exigé leur arrêt est bel et bien  révolue (résolution 2334). Par contraste, toujours dans la même éventualité, l’Assemblée générale des Nations Unies ne manquerait pas de prendre ses responsabilités et, comme elle l’a fait en 2014 pour la Crimée, de déclarer l’illégalité de l’annexion, la nullité de tous ses effets et l’interdiction de sa reconnaissance par les autres pays ainsi que de toute aide susceptible de prolonger cette situation illégale.

Pour l’instant, c’est le Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés depuis 1967 qui a réagi en s’élevant contre un tel projet et en en soulignant le caractère foncièrement illégal.

Quel serait l’impact sur le règlement du conflit israélo-palestinien ?

Cet impact serait assurément négatif pour ne pas dire mortifère. La situation ne cesse de se dégrader depuis l’arrêt du processus d’Oslo, du nom des accords israélo-palestiniens de 1993 qui ont réparti les territoires occupés palestiniens (TOP) en 3 zones : À (18% des TOP, sous contrôle palestinien), B (22% des TOP, sous contrôle mixte) et C (60% des TOP, sous contrôle israélien) et prévu une période de transition de 1996 à 1999 pour préparer le règlement définitif du conflit.

Ce processus a été entravé de diverses manières et notamment par l’expansion des colonies israéliennes, dont Benyamin Netanyahou est un partisan. À l’heure actuelle, ces TPO sont morcelés et ressemblent à une peau de léopard parsemés de colonies et de routes de contournement, les unes et les autres interdites aux Palestiniens et empiétant sur une partie substantielle du territoire du potentiel État palestinien. La solution à deux Etats, qui a pourtant la faveur de la communauté internationale, est déjà bien compromise et recevrait alors le coup de grâce et ne s’en relèverait probablement pas.

Pour aller plus loin :

Par Habib Gherari.