Le magazine Challenges avait le 10 janvier dernier publié sur son site internet un article intitulé « Exclusif : Conforama serait placé sous mandat ad hoc ». La société exploitant l’enseigne a alors saisi en référé le Tribunal de commerce de Paris qui a rendu le 22 janvier dernier une ordonnance enjoignant, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, au magazine de retirer l’article de son site. Le magazine a fait appel de cette décision.

Décryptage par Jeremy Antippas, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin – Lyon 3

« Le juge des référés n’apparaît pas indiscutablement à même d’apprécier si le public a intérêt à connaître une information et si celle-ci relève d’un débat d’intérêt général »

Sur quels fondements juridiques l’interdiction repose-t-elle ?

L’article L611-15 du Code de commerce visé par l’ordonnance énonce : « Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ». Le magazine soutenait ne pas être visé par ces dispositions. Le Tribunal ne suit pas cette analyse et considère que « la violation de la révélation de l’information litigieuse a été opérée par une partie directement visée » par le texte, sans s’en expliquer outre mesure. Il est vrai que la Cour de cassation avait déjà jugé ces dispositions opposables à une société éditrice d’un site d’informations financières en ligne (Cass., com., 15 déc. 2015, n° 14-11500, Bull. 2016, n° 841, Com., n° 602). La discussion semblait pourtant permise. De telles sociétés d’édition, qui ne font assurément pas partie des personnes appelées à une procédure de conciliation ou au mandat ad hoc, peuvent-elles être visées en tant qu’elles ont connaissance de l’information par leurs fonctions ? Sans doute la lettre du texte le permet-elle : le titre de presse a précisément connaissance de cette information du fait même de ses fonctions de recherche, de collecte et de diffusion de l’information. Néanmoins, l’esprit du texte ne semble pas de poser une opposabilité erga  omnes de la confidentialité, mais bien d’imposer celle-ci aux seuls membres des sociétés et professionnels concernés.

La décision est par ailleurs rendue sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile permettant au juge de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le juge prend à cet égard soin de relever les dommages imminents résidant dans les conséquences économiques négatives susceptibles de découler de la publication de l’information. Il s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans son arrêt précité, avait censuré un arrêt d’appel ayant jugé que la diffusion d’une telle information ne constituait pas un trouble manifestement illicite. 

Dans quelle mesure la liberté d’expression pourrait-elle cependant permettre la diffusion d’une telle information ?

La liberté de communication, figurant aux nombres des droits les plus précieux de l’homme en vertu de l’article 11 de la Déclaration des droits de 1789, est également protégée par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Cependant, son alinéa 2 en prévoit des limitations au nom, notamment, de la protection des droits d’autrui. La Cour de cassation a déjà été amenée à juger dans le même arrêt précité que « des restrictions à la liberté d’expression peuvent être prévues par la loi, dans la mesure de ce qui est nécessaire dans une société démocratique, pour protéger les droits d’autrui et empêcher la divulgation d’informations confidentielles ; qu’il en résulte que le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises, imposé par [l’article L611-15 du Code de commerce] pour protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises recourant à ces procédures, fait obstacle à leur diffusion par voie de presse, à moins qu’elle ne contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général ». C’est donc en l’état de la jurisprudence cette contribution à une question d’intérêt général qui, seule, pourrait légitimer une telle publication. Le Tribunal relève dans sa décision que le magazine ne l’établit pas. Pourtant, la jurisprudence de la Cour de cassation a dans d’autres domaines fait preuve de davantage de libéralisme, spécialement récemment dans la confrontation de la liberté d’expression avec la protection du droit au respect de la vie privée (v. not. Cass., civ. 1, 1er mars 2017, n° 15-22946). Au passage, le juge des référés, juge de l’urgence et de l’évidence, n’apparaît pas indiscutablement à même d’apprécier si le public a intérêt à connaître une information et si celle-ci relève d’un débat d’intérêt général.  

Quels sont les arguments susceptibles d’être développés dans la suite de la procédure ?

Le magazine devrait apporter des éléments de nature à montrer que l’information divulguée contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général. Cela n’apparaît pas hors de portée. Le Tribunal a, en effet, relevé que l’information litigieuse ne revêt pas le caractère d’une information du public sur un sujet d’intérêt général compte tenu de ce que le magazine s’adresse à un public averti du monde des affaires et de l’économie et que les médias généralistes n’ont pas relayé l’information. Or l’argument paraît fragile en ses doubles composantes. D’une part, un titre de presse spécialisé apparaît tout à fait susceptible de révéler un sujet relevant de son champ de compétence mais qui relève néanmoins également de l’intérêt général. D’autre part, le critère de la reprise de l’information par les autres journaux revient à faire des justiciables, des indices de la portée de la règle. D’ailleurs, à la suite de la décision, d’autres titres de presse plus généralistes ont repris l’information. Observons enfin que selon la Cour de cassation, notamment dans son arrêt précité, le juge est invité à rechercher lui-même si l’information litigieuse contribue ou non à un débat d’intérêt général.

Par Jérémy Antippas