Le 16 juin, Christophe Castaner, dans une interview au JDD,  a émis l’idée d’imposer des quotas à certains « modes d’immigration légale ».
Edouard Philippe a quant à lui, annoncé un débat sur la politique d’asile et d’immigration prévu pour septembre.

Décryptage par Thibaut Fleury Graff, professeur à l’Université Rennes 1, Co-Directeur du M2 « Affaires internationales au local ».

« La France a l’obligation de reconnaître la qualité de réfugié à toute personne qui « craint avec raison » d’être persécutée dans son pays d’origine pour des motifs tenant, par exemple, à ses opinions politiques, à sa religion, ou à son appartenance ethnique »

Que sont les « quotas de migrants » évoqués par Christophe Castaner dernièrement ?

Dans une interview au Journal du Dimanche du 16 juin dernier, Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, a évoqué la possibilité de mettre en place des « quotas » pour les « modes d’immigration légale » autres que l’asile. Cette question de l’instauration de quotas revient très régulièrement dans le débat public et politique. Elle avait déjà été évoquée par le Président de la République dans sa « Lettre aux Français » du 13 janvier 2019, où il interrogeait ses compatriotes sur leur volonté éventuelle de « fixer des objectifs annuels définis par le Parlement » en matière de migrations.

Mettre en place des quotas en matière d’immigration consiste à fixer à l’avance, généralement pour l’année à venir, un nombre maximum – ou beaucoup plus rarement minimum – d’étrangers qui seront admis à entrer et à séjourner régulièrement sur le territoire de l’État concerné.
En 2015, les États de l’Union européenne s’étaient ainsi mis d’accord pour répartir entre eux un quota minimum de réfugiés. En fonction, notamment, de leur poids démographique, chaque État membre se voyait obligé d’accueillir sur son territoire des réfugiés en provenance d’autres États membres, au sein desquels la demande d’asile était particulièrement forte (Grèce par exemple). Cette décision, tout à fait exceptionnelle et qui n’a été respectée par aucun État membre ou presque, est bien loin de celle envisagée par l’exécutif français, puisqu’il s’agirait en l’espèce de fixer non un nombre minimum, mais maximum, d’étrangers auxquels un titre de séjour serait délivré.

Ainsi, lorsque ce chiffre serait atteint pour l’année donnée, plus aucun titre de séjour ne pourrait être délivré avant l’année suivante. Le Canada applique actuellement, par exemple, une politique de ce type pour certaines catégories de migrants.

L’instauration de quotas est-elle possible concernant les réfugiés ?

Dans l’interview mentionnée, Christophe Castaner précise, comme l’avait également fait le Président avant lui, que de tels quotas ne pourraient pas concerner les réfugiés, car cela « serait contraire à nos engagements internationaux » et à son « éthique personnelle ».

En effet, en vertu de la Convention de Genève de 1951, les États qui y sont parties – comme la France et de très nombreux autres – ont l’obligation de reconnaître la qualité de réfugié à toute personne qui « craint avec raison » d’être persécutée dans son pays d’origine pour des motifs tenant, par exemple, à ses opinions politiques, à sa religion, ou à son appartenance ethnique. En outre, en vertu du droit de l’Union européenne et du droit national, toute personne reconnue réfugiée doit se voir accorder un titre de séjour, qui prend en France la forme d’une carte de résident valable 10 ans. Or, les seules raisons que prévoit la Convention pour refuser asile à une personne qui craint d’être persécutée pour ces motifs tiennent aux crimes ou agissements répréhensibles qu’elle aurait commis par le passé. Un État ne peut donc, sans violer cette Convention, opposer à une personne qui aurait droit à la qualité de réfugié le fait que les quotas annuels ont déjà été atteints.

On peut également ajouter qu’au-delà de cet engagement international qui lie la France, et de l’ « éthique personnelle » du ministre, la Constitution française elle-même garantit le « droit d’asile » à « toute personne persécutée » en raison de son « action en faveur de la liberté » (alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946). Il y a là un autre obstacle à l’application de quotas en la matière.

L’instauration de quotas est-elle possible concernant les autres immigrants ?

Oui…mais de manière extrêmement restreinte. En effet, dans beaucoup de cas, la France est tenue par d’autres engagements internationaux – au premier rang desquels la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) et le droit de l’UE, mais on peut songer également au Pacte international sur les droits civils ou politiques ou à la Convention internationale sur les droits de l’enfant – qui lui interdisent de poser des limites au nombre d’étrangers autorisés à entrer et séjourner sur son territoire. Même si les procédures sont souvent longues et complexes, l’immigration est en effet souvent de droit, tant sur le fondement de l’article 8 CEDH que de la directive de 2003 relative au regroupement familial, qui protègent le droit de toute personne au respect de sa vie familiale. En conséquence, et le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) s’en fait largement l’écho, les étrangers qui séjournent régulièrement sur le territoire français, ou les ressortissants français qui ont de la famille à l’étranger, doivent pouvoir faire venir en France certains membres de leur famille (époux ou concubins, et enfants notamment). Le refus qui serait opposé par les autorités françaises à une demande de regroupement familial au motif du dépassement des quotas serait ainsi contraire à ces stipulations.

Les seules catégories de migrants qui pourraient être concernés par de tels quotas seraient ainsi les étudiants ou les travailleurs dépourvus de liens familiaux forts en France. Or, pour les premiers, la France a fait le choix d’une autre forme de sélection que celle des quotas, puisqu’elle a décidé de relever considérablement les frais d’inscriptions dans les établissements d’enseignement français. Pour les seconds, les politiques les plus récentes, y compris celles mises en oeuvre par l’exécutif actuel, vont dans le sens d’une favorisation, et non d’une restriction, de cette immigration. On voit mal, en conséquence, quelle pourrait être la portée juridique et pratique exacte des déclarations récentes sur les quotas – à moins qu’elles n’aient de visées que politiques…

Pour aller plus loin :

Par Thibaut Fleury Graff.