La ministre de la Santé, Agnès Buzyn a annoncé, le mardi 9 juillet, que les médicaments homéopathiques allaient être totalement déremboursés au 1er janvier 2021. Cette décision s’est fondée sur les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) qui, le 26 juin dernier, a exprimé un « avis défavorable au maintien de la prise en charge » des médicaments homéopathiques.

Décryptage par Guillaume Rousset, maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon 3 (IFROSS).

« Les médicaments homéopathiques sont soumis à une procédure beaucoup plus légère qui n’est qu’un simple enregistrement »

Qu’est-ce que la Haute Autorité de santé (HAS) ? Quels sont ses pouvoirs ? Le gouvernement était-il tenu de suivre son avis ?

Créée en 2004, la Haute Autorité de santé est une autorité publique indépendante à caractère scientifique dont les missions sont variées. Parmi d’autres, certaines missions portent sur la qualité des soins tant dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (système de certification ou d’évaluation externe) qu’en cabinet de ville (procédure d’accréditation). Pour ce qui nous concerne ici, la mission de la HAS porte spécifiquement sur l’évaluation du service attendu et du service rendu par les produits de santé, notamment les médicaments, au rang desquels compte l’homéopathie.

Plus précisément, c’est un organe interne de la HAS, que l’on appelle la commission de la transparence, qui évalue les médicaments ayant obtenu leur autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsque le laboratoire qui entend les commercialiser souhaite obtenir leur inscription sur la liste des médicaments remboursables. Cette commission rend un avis sur leur prise en charge par l’assurance maladie en fonction du niveau de service médical rendu (SMR) par le médicament et de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) de ce produit, notions que nous développerons plus tard. Cet organe intervient après l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui délivre l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments à usage humain, mais avant, le Comité économique des produits de santé (CEPS) fixe le prix. Le rôle de la HAS, à travers cette commission de la transparence, est donc fondamental.

Quant à la force juridique de cette position, le fait que ce soit un avis permet de penser (bien que les apparences soient régulièrement trompeuses…) que cette autorité n’était pas décisionnaire. C’est en effet le ministre en charge de la santé qui devait prendre la décision finale de maintien ou non du remboursement des médicaments homéopathiques.

Quel est le statut juridique de l’homéopathie actuellement ?

Ce statut juridique est dérogatoire par rapport aux autres médicaments, notamment sur la question de leur autorisation. En effet, alors que, par principe, les médicaments doivent obtenir une autorisation de mise sur le marché pour pouvoir être commercialisés, les médicaments homéopathiques sont soumis à une procédure beaucoup plus légère qui n’est qu’un simple enregistrement (c’est aussi le cas des médicaments traditionnels à base de plantes). Ils économisent ainsi une procédure au cours de laquelle il est vérifié que le médicament mis au point par le laboratoire pharmaceutique respecte bien trois conditions clefs : qualité, sécurité et efficacité. C’est justement sur ce dernier point notamment que le débat existe au sujet des médicaments homéopathiques : au vu de leurs caractéristiques, dans quelle mesure sont-ils efficaces ?

Pour répondre à cette question, la commission de la transparence utilise deux outils cités précédemment : le service médical rendu (SMR) par le médicament et l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Le SMR est un outil de mesure de l’efficacité et de l’utilité d’un médicament et prend en compte deux aspects : la gravité de la pathologie pour laquelle le médicament est indiqué ; les données propres au médicament dans une indication donnée (efficacité et effets indésirables ; place dans la stratégie thérapeutique et existence d’alternatives ; intérêt pour la santé publique). Leur combinaison permet de fixer un niveau de SMR, lequel détermine l’existence et l’étendue du remboursement : majeur ou important, modéré ou faible, voire insuffisant pour justifier une prise en charge par la collectivité. Le SMR est un critère apprécié de manière absolue (c’est-à-dire sans comparaison avec un autre médicament : quel service le produit rend-il en soi ?), à la différence de l’ASMR qui est un critère estimé de façon relative (c’est-à-dire sur la base d’une comparaison avec les autres produits : quel service le médicament rend-il, en plus ou en moins, par rapport aux autres ?). Selon le niveau de SMR, le médicament est remboursé (à un taux variable) ou non. L’appréciation du SMR n’est pas définitive, il peut être réévalué si l’un des critères pris en compte varie et c’est justement sur cette base que la question du remboursement des médicaments homéopathiques se fonde avec une spécificité puisque, contrairement aux autres médicaments, les médicaments homéopathiques n’ont historiquement pas été évalués de manière scientifique avant d’être inscrits au remboursement. C’est donc dans ce contexte particulier que le ministère en charge de la santé a demandé à la HAS de réaliser cette évaluation.

Pour quelle raison la HAS souhaitait-elle le déremboursement de l’homéopathie ?  Comment ce déremboursement va-t-il s’organiser ?

Pour rendre cet avis, la HAS a évalué 1200 médicaments homéopathiques et analysé plus de 1000 publications scientifiques, menant aussi une procédure contradictoire avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques. Cette étude a porté spécifiquement sur 24 affections et symptômes traités avec des médicaments homéopathiques comme les troubles de l’anxiété, les verrues plantaires, les infections respiratoires aigües chez l’enfant ou les soins de support en oncologie notamment.

Sur cette base, « pour l’ensemble de ces affections et symptômes, la commission de la transparence a considéré que ces médicaments n’ont pas démontré scientifiquement une efficacité suffisante pour justifier d’un remboursement ». Pour affirmer cela, elle se fonde sur plusieurs éléments.

D’abord, elle constate une absence de preuve de l’efficacité soit parce que les données disponibles n’existent pas, soit parce que les données cliniques disponibles ne permettent pas de conclure à une efficacité suffisante de ces médicaments.

Ensuite, la HAS estime que, pour les affections et symptômes étudiés, il n’y a pas de nécessité de recourir systématiquement à des médicaments, qu’ils soient homéopathiques ou non, ces affections ou symptômes correspondant à des pathologies sans gravité ou qui guérissent spontanément.

Enfin, cet organe retient qu’aucune étude sérieuse n’a permis d’évaluer l’impact des médicaments homéopathiques tant sur la qualité de vie des patients que sur la consommation d’autres médicaments, la diminution du mésusage, le nombre d’hospitalisations, les retards à la prise en charge ou sur l’organisation des soins. C’est au vu de tous ces éléments que la HAS a rendu cet avis négatif qui a été suivi  par le Ministère en charge de la santé. Plus précisément, il a été décidé de dérembourser totalement ce type de médicament mais par palier (remboursement à 30% actuellement, puis 15% puis aucun remboursement) pour laisser assez de temps aux différents acteurs concernés de s’adapter. Cela concerne en premier lieu les laboratoires dont l’activité est centrée parfois exclusivement sur l’homéopathie, les médecins prescripteurs, mais aussi les patients bien évidemment. D’ailleurs, il faut avoir à l’esprit que ce déremboursement n’empêchera pas les professionnels de continuer à les prescrire et les patients de continuer à les acheter. Cela se fera « seulement » sans que la collectivité n’en assume le coût. L’on verra à terme si cela influe sur le volume d’utilisation de ces médicaments.

 

Pour aller plus loin :

 

 

Par Guillaume Rousset.