Le samedi 26 janvier 2019, la page Facebook tenue par Éric Drouet a appelé à « un soulèvement sans précédent », après la blessure à l’œil du Gilet jaune, Jérôme Rodrigues. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a alors annoncé ce mardi sa décision de saisir la justice.

Décryptage par Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences de Droit privé à l’Université de Lorraine et Directeur de l’Institut d’Études Judiciaires de Lorraine – André Vitu

« Il faut caractériser un acte de provocation, ce qui est plus précis qu’un simple appel, et faire expressément référence à un rassemblement d’insurgés »

A-t-on le droit d’appeler à l’insurrection ?

L’appel à l’insurrection n’est pas incriminé en tant que tel. Ce que le code pénal vise à l’article 412-4, 4° est la provocation à des rassemblements d’insurgés, par quelque moyen que ce soit : ce comportement est assimilé à une participation à un mouvement insurrectionnel. Il faut toutefois prendre garde à la définition du mouvement insurrectionnel. Dans le langage courant, l’insurrection est « le fait de se soulever contre un pouvoir politique établi en recourant à la violence armée » (Trésor informatisé de la langue française). L’article 412-3 du code pénal définit le mouvement insurrectionnel comme toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national. Dès lors, un appel à manifester n’entre pas, loin s’en faut, dans la catégorie de la provocation à des rassemblements d’insurgés. Il faut caractériser un acte de provocation, ce qui est plus précis qu’un simple appel, et faire expressément référence à un rassemblement d’insurgés, c’est-à-dire de personnes commettant des violences collectives mettant en danger les institutions de l’État.

D’autres qualifications pénales peuvent être envisagées. On songe à l’article 24, alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881 qui punit la provocation directe, non suivie d’effet, à l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal. Cette qualification a vocation à s’appliquer lorsque la provocation est publiée par l’un des moyens visés à l’article 23, ce qui est le cas d’une publication électronique. Mais là encore, la qualification est d’application restreinte : d’une part, la provocation doit être directe et, d’autre part, l’infraction objet de la provocation doit être un crime ou un délit portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Or, la définition de ces intérêts fondamentaux est restrictive : l’article 410-1 liste, notamment, l’indépendance de la nation, l’intégrité et la sécurité du territoire, la forme républicaine des institutions. On le voit, ces qualifications sont exceptionnelles et visent à empêcher les conditions propices à un coup d’État.

L’article 433-10 doit en revanche être écarté : il incrimine la provocation à la rébellion, celle-ci se définissant comme « le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice ». L’appel « au soulèvement » est bien trop imprécis au regard de cette incrimination.

Y a-t-il des sanctions pénales encourues par les auteurs d’un tel message ?

À supposer que le message constitue bien une provocation à des rassemblements d’insurgés, les peines prévues sont de quinze ans de détention criminelle et 225 000 euros d’amende. Il s’agit donc d’une infraction politique. Il faut y ajouter les peines complémentaires de l’article 414-5 du code pénal (interdiction des droits civils, civiques et de famille, interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle, confiscation, interdiction de séjour). La provocation de l’article 24, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 est quant à elle punie de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Dans cette hypothèse, il faudrait en outre faire application des règles particulières de responsabilité pénale en matière de presse prévues à l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881.

Il faut toutefois bien souligner le caractère strict de l’interprétation de la loi pénale : le fait d’appeler « à un soulèvement » ne renvoie pas nécessairement à la provocation à des rassemblements d’insurgés. L’insurrection n’est pas la manifestation et les institutions de la République ne semblent pas atteintes par un appel au soulèvement qui reste assez flou, surtout lorsqu’il est précisé que ce soulèvement doit se faire « par tous les moyens utiles et nécessaires pour que plus personne ne soit victime de ces blessures de guerre ». Il n’est pas fait référence à des violences contre les institutions de l’État.

Quelle est la procédure judiciaire qui pourrait en découler ?

Le ministre de l’Intérieur a annoncé vouloir dénoncer les faits au procureur de la République en application de l’article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale. Il appartiendra alors au parquet de décider de l’opportunité de poursuites qui pourraient en l’espèce apparaître largement contre-productives. Dans tous les cas, ce sont les juridictions de droit commun qui seraient compétentes. Si la qualification criminelle de l’article 412-4 était retenue, il faudrait alors saisir un juge d’instruction. Outre les très grandes incertitudes liées à la qualification pénale, et le temps inhérent à la procédure judiciaire, prendre le risque de poursuites avec une forte probabilité de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement offrirait surtout une large tribune médiatique et juridique à un mouvement qui n’en demandait sans doute pas tant. Une première illustration de cette instrumentalisation politique a déjà eu lieu, puisqu’une plainte pour dénonciation calomnieuse a été déposée à l’encontre du ministre de l’Intérieur.

 

Par Jean-Baptiste Thierry