Le hacker portugais, Rui Pinto, a été arrêté le 16 janvier dernier à Budapest en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis par le Portugal qui l’accuse de « tentative d’extorsion aggravée » et de « vol de données ». À l’origine des révélations des « Football Leaks » qui ont conduit à l’ouverture, par plusieurs pays européens, d’enquêtes sur des malversations présumées dans le monde du Football, ses avocats le présentent comme un lanceur d’alerte important. La justice hongroise a confirmé, il y a quelques jours, son extradition vers le Portugal.

Décryptage par Thomas Herran, maître des conférences à l’Université de Bordeaux.

« Il sera possible pour Rui Pinto, en cas de condamnation, de déposer une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, en alléguant une violation de la liberté d’expression, consacrée à l’article 10 de la Convention »

Quel est le statut juridique d’un lanceur d’alerte en France ?

En France, le statut juridique des lanceurs d’alerte a été façonné par la loi du 9 décembre 2016 n°2016-1691 relative à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II. Celle-ci le définit et instaure un régime de protection.

Aux termes de la loi, un lanceur d’alerte est une personne physique qui fait une révélation relative soit à la commission d’une infraction, soit à la violation d’une règle de droit, qu’il s’agisse d’une convention internationale, une loi ou un règlement, soit à une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général. L’auteur du signalement doit être de bonne foi et agir de manière désintéressée.

La protection accordée au lanceur d’alerte prend plusieurs formes. Tout d’abord, larticle 122-9 du Code pénal prévoit que la responsabilité pénale du lanceur d’alerte ne pourra pas être engagée pour avoir révélé des informations en violation du secret protégé par la loi. Ainsi, par exemple, le lanceur d’alerte ne pourra pas être condamné pour violation du secret professionnel, incriminée à l’article 226-13 du Code pénal, s’il a agi aux fins et dans l’état d’esprit décrit par la loi Sapin II. Ensuite, ont été établies des mesures de protection en droit du travail et en droit de la fonction publique visant à garantir le lanceur d’alerte contre toute discrimination, sanction, ou désavantage, quelle qu’en soit la forme, en raison de l’alerte.

Toutefois, cette protection n’est accordée qu’à la condition que l’auteur de l’alerte ait respecté la procédure en trois temps. Dans un premier temps, le signalement doit être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou une personne désignée, ce qui suppose que les différents organismes concernés (entreprises, collectivités territoriales…) aient établi en leur sein une procédure de signalement. En cas d’inertie de la part du destinataire, le signalement peut, au terme d’un délai raisonnable, être adressé, dans un second temps, à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou à l’ordre professionnel concerné. Ce n’est que dans un troisième temps, en l’absence de réaction dans un délai de trois mois de la part des autorités compétentes, que le signalement peut être rendu public. Toutefois, en cas danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, l’alerte peut être directement portée à la connaissance des autorités publiques (judiciaires, administratives ou ordinales) et rendue publique.

La justice portugaise a émis un mandat d’arrêt européen dans le cadre d’une enquête pour « tentative d’extorsion aggravée et d’autres crimes liés au vol de données ». Qu’est-ce qu’un mandat d’arrêt européen ? Comment est-il mis en œuvre ? 

Le mandat d’arrêt européen est une procédure dont l’objet est d’obtenir la remise d’une personne inquiétée dans une procédure pénale. Il s’agit, aux termes de la décision-cadre de l’Union européenne du 13 juin 2002 instaurant cette procédure, d’une décision judiciaire émise par les autorités d’un État, adressée aux autorités judiciaires d’un autre État, demandant l’arrestation et la remise d’un individu afin qu’il soit jugé pour une infraction qu’il est soupçonné d’avoir commise ou, lorsqu’il a déjà fait l’objet d’un jugement, aux fins d’exécuter la peine à laquelle il a été condamné. C’est une procédure équivalente à l’extradition, mais applicable seulement entre les États membres de l’Union européenne.

Comme dans le cadre de l’extradition, les juridictions de l’État destinataire du mandat d’arrêt européen doivent se prononcer sur son exécution. Ainsi, elles doivent rechercher s’il existe dans l’affaire un motif de refus, obligatoire ou facultatif, prévu par les textes. Toutefois, le nombre de motifs de refus pouvant justifier la non-remise est plus faible dans le mandat d’arrêt européen que dans l’extradition. Cette différence s’explique par le fait que la procédure européenne repose sur le principe de confiance mutuelle entre les États membres de l’Union européenne, en vertu duquel les États sont réputés offrir une protection équivalente des droits fondamentaux. Par conséquent, les juridictions saisies d’une telle demande de remise doivent donc s’en tenir aux seuls motifs prévus par les textes.

La situation de Rui Pinto ne correspond pas à aucune cause pour lesquelles le refus d’exécution du mandat n’est admis, le statut de lanceur d’alerte n’étant pas, en l’état des textes, un motif reconnu. La juridiction hongroise qui a statué sur le mandat d’arrêt européen a d’ailleurs justifié sa décision de remise par la confiance mutuelle entre les États membres.

Le mandat d’arrêt européen exécuté, quels seraient les recours possibles pour Rui Pinto, au niveau international, pour contester cette procédure ?

En soi, il n’existe aucun recours, tant au niveau national qu’international, que pourrait exercer Rui Pinto pour contester sa remise aux autorités portugaises. Seules les juridictions de l’État auquel le mandat est adressé se prononcent sur son exécution. Rui Pinto a pu d’ailleurs exercer un recours en Hongrie et a fait appel de la décision des premiers juges qui avaient autorisé sa remise. Cette décision a été confirmée par la juridiction d’appel. Il sera donc remis dans les prochains jours au Portugal pour être jugé pour tentative d’extorsion aggravée et vol de données.

Toutefois, si aucun recours international n’est ouvert pour contester l’exécution du mandat d’arrêt européen, il sera éventuellement possible pour Rui Pinto, en cas de condamnation par les autorités portugaises, de déposer une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, en alléguant une violation de la liberté d’expression, consacrée à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour de Strasbourg a, dans un arrêt du 12 février 2008 rendu à l’occasion de l’affaire Guja c. Moldovie, reconnu que les lanceurs d’alertes jouissent d’une protection particulière et que le fait de sanctionner le signalement, lorsque la situation répond à des critères précis, constitue une violation de la liberté fondamentale d’expression. Ainsi, une éventuelle requête de Rui Pinto pourrait conduire à la reconnaissance par la Cour d’une violation de l’article 10 de la Convention et justifier la condamnation de l’État portugais.

Pour aller plus loin :

Par Thomas Herran