Dans une tribune parue dans le quotidien Le Monde daté du 28 février 2018, 156 députés réclament le vote d’une nouvelle loi admettant le suicide assisté. 

Depuis plusieurs années la question de la fin de vie n’est plus taboue, alors que paradoxalement la mort est davantage refoulée qu’autrefois. Plusieurs cas, notamment ceux de Vincent Lambert et de Vincent Humbert, ont contribué à alimenter le débat dans la société. Le législateur est déjà intervenu à deux reprises ces dernières années, d’abord par la loi Léonetti du 22 avril 2005, puis par la loi Claeys-Léonetti du 2 février 2016. La loi Claeys-Léonetti est récente, même pas deux ans ! Elle est le résultat de travaux approfondis, sérieux, démocratiques, menés par deux députés a priori opposés dans l’hémicycle. Quel que soit le destin de cette offre de loi, il n’est pas inutile de faire le point sur le droit positif en la matière. 

Décryptage par Richard Desgorces, Professeur de droit à l’Université de Rennes 1 et Membre de l’IODE (Institut de l’Ouest : Droit et Europe) UMR CNRS 6262.

« Face à un tel problème, le médecin se trouve démuni »

Quels sont les droits du patient ?

On peut distinguer 4 cas de figure. 

1. Le patient détermine lui-même, après avoir échangé avec son médecin, ce qu’il souhaite. Il peut vouloir poursuivre le traitement ; il peut choisir d’être tenu dans l’ignorance ; il peut préférer que le traitement soit suspendu ; il peut aussi s’opposer à son application.

2. Le patient a rédigé des directives anticipées. Elles sont valables tant qu’elles n’ont pas été révoquées. Elles sont en outre révisables discrétionnairement. Il serait d’ailleurs inconcevable qu’il en soit autrement. Surtout, elles « s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement » (art. L.1111-11, al. 3, CSP). Cette opposabilité résulte de la loi de 2016. Auparavant, le médecin pouvait tenir compte des directives anticipées. Il restait maître de la poursuite du traitement, sous réserve de ne pas s’obstiner de façon déraisonnable. Aujourd’hui, le médecin est lié par les directives anticipées de son patient, sauf en cas d’urgence vitale et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (art. L. 1111-11, al. 3, CSP).

3. Le patient a désigné une personne de confiance. Cette désignation doit être passée par écrit et cosignée par celui qui est choisi. L’exigence est utile : la signature constitue un acte empreint de gravité qui permet à la personne de confiance de mesurer la dimension de la mission qui lui est conférée. Une fois désignée, la personne de confiance va accompagner le patient dans ses démarches, assister aux entretiens médicaux et l’aider dans ses décisions. Le temps venu, c’est à elle que le médecin s’adressera pour connaître les souhaits du patient pour sa fin de vie. Le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre témoignage. Le risque d’un conflit entre les dires de la personne de confiance et ceux des parents ou d’un proche du patient se résoudra en faveur de la personne de confiance.

4. Le patient n’a rien prévu. Plus précisément, le patient n’a prévu ni directives anticipées ni personne de confiance. Le médecin doit, malgré tout, s’enquérir de la volonté du patient. S’il ne peut l’exprimer lui-même, le médecin devra consulter la famille et les proches. Que faire en cas de division de ceux-ci ? On sait que, depuis l’affaire Vincent Lambert, ce n’est pas une hypothèse d’école et que, face à un tel problème, le médecin se trouve démuni.

Quels sont les devoirs du médecin ?

L’intervention du médecin est placée sous le signe de la dignité : « Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », selon la nouvelle rédaction de l’article L. 1110-5 du CSP. Concrètement, cela implique que le médecin veille à ce que son patient ne souffre pas, qu’il parte tranquillement.

Son rôle consiste aussi à entreprendre les traitements et les soins utiles ou, à l’inverse, à les arrêter lorsqu’ils « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » (art. L. 1110-5-1 CSP), en d’autres termes, de ne pas s’obstiner de façon déraisonnable. La notion d’obstination est ambivalente. Elle peut être positive ou négative. Positivement, l’obstination est endurance, ténacité, persévérance, force d’âme. Négativement, l’obstination est acharnement, opiniâtreté, entêtement, récidive. « La vaillance a ses limites », disait Montaigne. L’obstination du médecin est louable lorsqu’il consacre toute son énergie à guérir. Elle est critiquable lorsqu’elle ne mène à rien, parce que la mort du patient est imminente. L’obstination est alors déraisonnable ; elle s’éloigne des « principes du sens commun », « des jugements de valeur généralement acceptés ».

Le médecin peut-il pratiquer une sédation profonde et continue ?

Le principe selon lequel le médecin ne doit pas s’obstiner déraisonnablement peut le conduire à pratiquer une sédation profonde et continue. Il convient de distinguer selon que le patient peut ou non exprimer sa volonté.

1. Le patient peut exprimer sa volonté. Le médecin peut procéder à une sédation profonde dès lors que le patient est atteint d’une affection grave et incurable, que son pronostic vital est engagé à court terme et qu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements.

2. Le patient ne peut exprimer sa volonté. La possibilité pour le médecin d’engager une sédation profonde est conditionnée à la constatation que les traitements et les soins en cours relèvent d’une obstination déraisonnable. Le médecin déclenche alors une procédure collégiale, ce qui permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement les conditions d’application de la loi. Il consulte les proches et la famille pour savoir quel aurait été le souhait du patient s’il avait été capable de s’exprimer.

Interrogé sur la sédation profonde et continue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 2 juin 2017 (n° 2017-632-QPC), que la possibilité pour le médecin de décider seul de l’arrêt des traitements, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale et après avoir éventuellement consulté l’entourage du patient, ne portait nullement atteinte au principe de dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle.

La question, avec des majuscules, qui doit alors être posée est la suivante : la sédation profonde fait-elle pencher le curseur du côté du suicide assisté ? En l’état actuel du droit, la réponse est négative. En effet :

  • La sédation profonde ne provoque pas en tant que telle la mort. Elle rend le mourant inconscient. C’est la maladie ou les traumatismes qui restent la cause du décès.
  • La sédation profonde n’est accessible qu’aux personnes en fin de vie. Un mal être, une maladie grave, une incarcération à perpétuité, etc. ne peuvent en aucun cas justifier un tel acte.
  • L’euthanasie reste un homicide passible d’une peine de prison et d’une interdiction d’exercer la médecine. Certes, certains pays se sont engagés dans la voie de la dépénalisation, la Belgique notamment, mais au prix, selon certains, d’une atteinte au droit à la vie.

Par Richard Desgorces