Suite à la diffusion sur France 2 d’un reportage qui dévoilait certains liens entre le Rassemblement national (RN) et l’ex-conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, des députés et des sénateurs de tous bords ont réclamé une commission d’enquête parlementaire afin de faire la lumière sur cette affaire.

Décryptage par Jean-Pierre Camby, professeur de droit associé à l’université de Versailles Saint-Quentin.

« Les députés européens élus sur une liste irrégulièrement financée, pourraient voir leur élection annulée. »

Dans cette affaire, que reproche-t-on au parti Rassemblement national ?

Une émission « envoyé spécial », diffusée par France 2 le 9 mai, présente l’action en Europe de Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump. Elle comporte notamment des extraits d’une réunion filmée par la réalisatrice d’un documentaire sur Steve Bannon, qui y rencontre des dirigeants de ce parti. Les séquences et l’interview de la réalisatrice insistent d’une part sur les conseils financiers que peut donner Steve Bannon et, d’autre part, exposent que ces dirigeants le convient à des réunions hebdomadaires auxquelles assisteraient, prétendent-ils, des « ambassadeurs » et des « préfets ». L’émission s’interroge, sans aller jusqu’à l’affirmation, sur un éventuel financement de ce parti par des sources américaines, à partir de séquences filmées, fragmentées, d’une seule réunion, et d’une interruption de ce tournage par Steve Bannon. Elle affirme que « depuis 2018 la loi interdit les dons et emprunts venus de l’étranger pour un parti politique français ». Cette interdiction, qui date de la loi du 15 janvier 1990, découle d’une prescription de l’article 4 de la Constitution selon laquelle les partis et groupements politiques doivent respecter les « principes de la souveraineté nationale ». Une prohibition de financement des campagnes électorales par des sources étrangères figure par ailleurs à l’article L. 52-8 du Code électoral, qui interdit les contributions ou aides matérielles de toute personne de droit étranger ou de personnes physiques de nationalité étrangère non résidentes en France, et une loi de 2017 a même limité la possibilité de prêts aux seuls établissements de crédit ayant leur siège en Europe. Le Conseil d’État vient cependant d’admettre, de manière dérogatoire, dans un avis du 19 mars dernier, que les partis politiques européens peuvent participer, y compris financièrement, à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France, seuls ou conjointement avec des partis nationaux, mais cette exception ne concerne que des partis européens et seulement l’élection au Parlement européen.

Le reportage laisse entendre que Steve Bannon a participé aux financements de la campagne des Européennes du Rassemblement national. Si cela était confirmé, que risque le parti ?

La réponse vaut pour tous les partis politiques. Pour participer au financement d’une campagne électorale, collecter des dons de personnes physiques, fiscalement déductibles, et éventuellement bénéficier de l’aide publique accordée en fonction des résultats aux élections législatives, en voix et sièges, un parti doit être agréé par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Un parti qui enfreindrait la prohibition, sans faire figurer la somme dans ses comptes, ou en faisant apparaître cette irrégularité, risque de se voir privé d’agrément, sous le contrôle du juge administratif (Conseil d’État, n° 212044, 8 décembre 2000, parti nationaliste basque) et donc de ces avantages. En outre, ses dirigeants seraient passibles de sanctions lourdes prévues par l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988. Au-delà, le risque serait plus lourd encore pour le remboursement des frais de la campagne électorale, puisque si une source illégale d’ampleur était mise en évidence, la liste concernée perdrait son droit au remboursement pouvant aller jusqu’à 4,3 millions d’euros, et ses dirigeants pourraient être déclarés inéligibles (Conseil d’Etat, 27 juillet n° 2005, 274388 pour un parti catalan). Les députés européens élus sur une liste irrégulièrement financée, pourraient, en outre, voir leur élection annulée.

Qu’est-ce qu’une commission d’enquête parlementaire ?

Les commissions d’enquête sont l’une des plus anciennes et des plus connues parmi les procédures du contrôle parlementaire, puisque leur existence remonte à la Restauration et qu’elles ont très souvent porté sur des sujets sensibles, dont les affaires Caillaux, Oustric ou Stavisky sous la IIIème République. En mars 1914, à l’initiative de Jaurès, était votée la première loi fixant les règles de fonctionnement, qui ont ensuite été précisées par les textes successifs : loi du 6 janvier 1950, article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, modifié, toujours en vigueur, et par l’article 51-2 de la Constitution, introduit par la révision du 23 juillet 2008, et précisés par les règlements des assemblées. Leur création résulte du vote d’une proposition de résolution par l’assemblée concernée, qui en fixe l’objet. Leur durée est au maximum de six mois. Elles ne peuvent interférer avec le champ précis de poursuites judiciaires pénales ou aboutir à mettre en cause la responsabilité politique du chef de l’État, ce dont témoigne un échange de lettres en août 1984 entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, qu’une commission d’enquête sur les avions renifleurs voulait entendre, ou, en novembre 2009, une tentative non aboutie de commission d’enquête sur les sondages financés par l’Élysée.

Toutefois, cela ne fait pas obstacle à des enquêtes, en janvier 2008, sur l’implication de la présidence de la République dans la libération d’infirmières bulgares détenues en Libye et en 2018 sur l’affaire Benalla, pour laquelle ce sont les commissions permanentes de chacune des assemblées, commissions des lois, qui se sont dotées des pouvoirs des commissions d’enquête. Ces pouvoirs tiennent notamment à l’obligation des personnes dont l’audition est demandée de venir témoigner, au fait qu’elles doivent prêter serment et que le faux témoignage peut être poursuivi, à la possibilité pour les parlementaires chargés de l’enquête de contrôler sur pièces et sur place, d’obtenir des documents, etc. La commission décide de la publication du rapport. Lorsque le rapport est publié, ce qui est le cas le plus fréquent, il comporte le procès-verbal des auditions. Composées à la proportionnelle des groupes politiques, avec un droit de tirage à l’opposition pour le choix de sujets, les commissions d’enquête marquent par la solennité de la procédure, la publicité des auditions, qui est le cas le plus fréquent, la qualité des rapports qui aboutissent souvent à des propositions concrètes, plus rarement à la saisine du juge pénal, comme ce fut le cas en 2003 au sujet de la compagnie Air lib ou plus récemment à deux reprises par le Sénat pour allégation de faux témoignage, et souvent par leur retentissement médiatique. On se souvient à cet égard de l’affaire d’Outreau en 2006 ou plus récemment de l’affaire Benalla. L’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit que les commissions d’enquête se réunissent sur des « faits déterminés », l’assemblée concernée apprécie souverainement si les faits en cause sont suffisamment « déterminés ».

Pour aller plus loin :

Par Jean-Pierre Camby.