Les États-Unis sont paralysés actuellement par un shutdown sans précédent avec des perspectives de sortie de crise relativement incertaines.

Décryptage par Idris Fassassi, Professeur de droit public à l’Université d’Amiens.

« La sortie de crise passe nécessairement par un texte de compromis susceptible de réunir 60 voix au Sénat et d’être adopté par la Chambre des représentants sans que le Président n’oppose son veto »

 En quoi consiste un shutdown et quelles sont les causes de la paralysie actuelle ?

Le shutdown correspond à la « fermeture » d’une partie ou de la totalité des services de l’Etat fédéral lorsque ceux-ci ne disposent plus des autorisations budgétaires nécessaires.

L’année fiscale commençant au 1er octobre, il faut que le budget ait été adopté à cette date pour permettre le fonctionnement des services de l’Etat fédéral. Le plus souvent, le Congrès vote un ensemble de lois permettant le financement des services soit pour la totalité de l’année pour certains d’entre eux, soit pour une durée inférieure pour d’autres. Il vote ensuite des autorisations de dépense temporaires, qui vont permettre le fonctionnement des services en cause jusqu’à une date ultérieure. Lorsqu’aucune autorisation annuelle de dépense n’a été votée ou lorsqu’une autorisation temporaire arrive à échéance, et qu’elle n’est pas suivie d’une autre autorisation, on se retrouve en situation de shutdown. C’est ce qui s’est produit le 22 décembre 2018.

Les États-Unis sont donc depuis ce jour en situation de shutdown partiel, certaines autorisations ayant été votées auparavant. Sont ainsi affectés, entre autres, le ministère de la Justice, des affaires étrangères, des transports, de l’agriculture, du commerce, ou encore du budget.

Les conséquences concrètes tiennent à la réduction voire la suspension des activités des services en cause, sauf exceptions, et le renvoi chez eux de certains fonctionnaires – ceux qui ne sont pas considérés comme relevant d’une activité essentielle (soit près de 380 000 fonctionnaires) – tandis que les autres doivent continuer à travailler sans être payés (environ 420 000).

La cause politique de cette paralysie partielle est le désaccord entre le Président Trump et les démocrates au Congrès sur le financement du fameux mur que le Président réclame à la frontière sud des États-Unis. Donald Trump avait ainsi menacé d’opposer son veto à toute autorisation de dépense n’accordant pas les 5,7 milliards de dollars qu’il juge nécessaire pour financer le mur. En décembre, les sénateurs Démocrates se sont opposés au texte voté par la Chambre. On notera toutefois que le Sénat avait voté un texte de compromis que la Chambre, alors dominée par les Républicains, refusa d’examiner au motif que le Président risquait d’exercer son veto.

Quelles sont les perspectives de sortie de crise ?

 Ce shutdown, qui dure depuis 34 jours, est le plus long de l’histoire. Les fonctionnaires concernés ont déjà perdu une feuille de paie et s’apprêtent à en perdre une deuxième demain.

Alors même que la situation n’est plus tenable, pour eux ainsi que pour les services paralysés, la sortie de crise s’annonce complexe car les parties campent sur leur position. Le report du discours sur l’état de l’Union en est l’illustration.

Les démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants depuis début janvier, ont clairement annoncé qu’ils refuseraient de négocier tant que le Président bloque la réouverture des services de l’Etat fédéral. Nancy Pelosi, « Speaker » de la Chambre, a d’ailleurs parlé d’un « mur immoral ». De son côté, Donald Trump refuse de renoncer au mur, promesse de campagne, au motif que la sécurité des États-Unis est en jeu. Il avait d’ailleurs déclaré en décembre « être fier » de provoquer un shutdown au nom de la défense de la sécurité des États-Unis, et s’est dit il y a peu prêt à un shutdown s’étalant sur plusieurs mois ou années.

Les annonces qu’il a faites ce week-end visant à offrir une protection temporaire aux personnes en situation irrégulière arrivées en bas âge aux États-Unis – qu’il avait lui-même éliminée en revenant sur le programme DACA –, en contrepartie du financement du mur ont été immédiatement rejetées par les démocrates. La décision rendue mardi par la Cour suprême affaiblit d’ailleurs sa position. Elle aboutit en effet à maintenir le programme DACA.

La sortie de crise passe nécessairement par un texte de compromis susceptible de réunir au moins 60 voix au Sénat, et d’être adopté par la Chambre des représentants sans que le Président n’oppose son veto.

On peut toutefois considérer que si le Congrès parvient à un accord, il serait délicat pour le Président d’opposer formellement son veto. C’est une chose que de menacer de mettre son veto, c’en est une autre que de le faire effectivement.

Le vote devant avoir lieu aujourd’hui au Sénat sur la proposition de Donald Trump et celle des démocrates pose les bases procédurales d’une sortie de crise, en permettant aux élus de se prononcer.

Que révèle cette situation inédite ?

Cette situation traduit en premier lieu le dysfonctionnement profond du système politique, puisque le Congrès se trouve incapable d’assurer une des tâches essentielles d’un Parlement, à savoir voter le budget.

Elle traduit, dans le même sens, la polarisation extrême et les tentations « jusqu’au-boutistes » des acteurs politiques, au détriment du fonctionnement de l’État. Les propos du Président assumant sa fierté de provoquer la paralysie sont à ce titre révélateurs.

On peut voir également dans cet épisode un certain renoncement du Congrès à exercer la plénitude de ses compétences face aux demandes de l’Exécutif. Alors que récemment on a pu voir dans un autre pays lui aussi soumis à une crise majeure, un Parlement désavouant l’Exécutif, on remarquera ici le choix des élus républicains de ne pas mettre le Président au pied du mur. Alors même qu’ils ne partageaient pas tous la fixation du Président sur le mur et ses 5,7 milliards de dollars, ils ont protégé le Président. Ils auraient pu en décembre le contraindre à exercer son veto, mais ils ont choisi de s’abriter derrière la menace du veto pour refuser de se prononcer sur les textes.

Enfin, vu de ce côté-ci de l’Atlantique, on s’étonnera sans doute de l’absence de manifestations d’envergure ou de grèves massives des fonctionnaires privés de salaire et néanmoins contraints de travailler. La raison tient à ce que les fonctionnaires fédéraux n’ont légalement pas le droit de grève et que le souvenir du renvoi par Ronald Reagan en 1981 des onze mille contrôleurs aériens qui s’étaient risqués à l’exercer demeure tenace.

Pour aller plus loin :

http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/congres-usa.asp

 

Par Idris Fassassi