Benoit Quennedey, haut fonctionnaire de la Chambre haute du Parlement, a été interpellé par les services de renseignement dimanche 25 novembre dans le cadre d’une enquête ouverte par le Parquet de Paris portant sur la transmission d’informations en faveur du régime nord-coréen et a été suspendu provisoirement de ses fonctions par le Sénat.

Décryptage par Guillaume Beaussonie, professeur de droit à l’Université Toulouse 1 Capitole.

« Les faits examinés étant en l’occurrence « commis par un Français au service de la France », c’est de trahison dont il est question »

De quelle incrimination relèvent les faits reprochés à ce haut fonctionnaire ?

Une enquête a été ouverte en mars par le parquet de Paris pour « recueil et livraison d’informations à une puissance étrangère, susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », deux comportements actuellement incriminés par les articles 411-6 et 411-7 du code pénal. Il s’agit de deux infractions politiques, le recueil – en vue de la livraison – de ces informations étant un délit qui fait encourir des peines de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, leur livraison étant un crime puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d’amende. Les faits examinés étant, en l’occurrence, « commis par un Français au service de la France », c’est de trahison – et non d’espionnage, comme on le lit ici ou là ! – dont il est question en vertu de l’article 411-1 du même code.

Dans ce cadre, Benoit Quennedey est tout simplement soupçonné d’être le traître, en ce qu’il aurait fourni des informations confidentielles et stratégiques au régime nord-coréen, à l’endroit duquel il n’a jamais caché sa sympathie. Il en aurait eu l’occasion, tant en raison de sa qualité de haut fonctionnaire au service du Sénat, qu’en tant que président de l’Association d’amitié franco-coréenne et spécialiste de la Corée du Nord, ces fonctions ayant justifié qu’il se rende à plusieurs reprises sur la péninsule coréenne.

En raison de ces soupçons, il a été interpellé dimanche soir dernier (25 novembre) puis a été placé en garde à vue. Une perquisition a également été réalisée à son domicile.

C’est la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) qui l’a appréhendé. Est-ce normal dans le cadre de cette affaire ? Que risquerait-il si les faits dont il est soupçonné étaient avérés ?

En l’occurrence, puisqu’il est éventuellement question de trahison commise sur le territoire français, c’est bien la sécurité intérieure qui est en cause, la compétence de la DGSI pour mener l’enquête allant alors de soi. La DGSI est, en effet, un service à la fois de renseignement et de police judiciaire. Par ailleurs, la DGSI a absorbé en 2008 l’ancienne Direction de la Surveillance du Territoire (DST), celle-ci ayant toujours constitué le service historique de contre-espionnage français. La Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE, autrement dit les services secrets français), à laquelle on pourrait également penser, est plutôt chargée du contre-espionnage en dehors du territoire français.

En ce qui concerne la sanction, outre les peines principales sus-évoquées, Benoit Quennedey encourrait classiquement, s’il était condamné, différentes peines complémentaires, notamment une interdiction définitive d’exercer son actuelle fonction publique, ainsi qu’une interdiction de séjour d’une durée de dix ans au plus. Il s’agit de peines particulièrement graves, parallèlement à la gravité des comportements considérés.

Surtout, puisqu’il est question d’infractions politiques, des règles spécifiques seraient applicables, tant en ce qui concerne la procédure à suivre que le régime pénitentiaire à subir.

Pour l’essentiel, serait compétente pour le juger une cour d’assises uniquement composée de cinq magistrats professionnels. Quant à la détention éventuellement prononcée par cette juridiction, elle serait en quelque sorte plus douce qu’un enfermement classique, dans la mesure néanmoins du possible – ou plutôt de l’impossible – dans un contexte de surpopulation carcérale massive tel que le nôtre. Au demeurant, il faut reconnaître que le régime de faveur qui particularisait autrefois les infractions politiques a tendance à s’estomper de plus en plus…

Existe-t-il des précédents en France ?

En la matière, le secret règne en maître… En conséquence, il est rare que la DGSI communique, la présente fuite étant expliquée par certains comme la volonté de faire passer un message. Les poursuites et les condamnations, que nul ne peut en revanche dissimuler, ne sont pas non plus très fréquentes.

À la fin de l’année dernière, trois personnes, dont deux anciens agents de la DGSE et membres de sa direction générale, ont par exemple été mises en examen car elles étaient soupçonnés d’avoir livré aux autorités chinoises des informations sur les méthodes de travail du renseignement extérieur français, ce qu’on a d’ailleurs appris que cinq mois après. L’instruction est en cours.

Préalablement, c’est surtout durant la guerre froide – du moins dans l’histoire récente – que des faits de trahison ont été commis à l’encontre de la France et, parallèlement, que des traîtres ont été condamnés. Ces affaires sont notoires, telles celle concernant Georges Pâques, condamné le 7 juillet 1964 pour avoir communiqué de nombreux documents secrets au KGB pendant presque vingt ans. Sa peine initiale de détention à perpétuité fut commuée, en 1968, en vingt ans de détention, avant qu’il ne soit gracié, en 1970, par le président de la République Georges Pompidou.

Encore plus récemment, tel fut aussi le parcours de Francis Temperville, condamné le 30 octobre 1997 à neuf ans de prison pour trahison, dans l’affaire connue sous le nom des « pétales de rose », ces derniers étant disposés par l’espion russe avec lequel le Français était en contact avant chacune de leurs rencontres. Ingénieur au sein du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), Temperville avait vendu quelque 6000 documents confidentiels à l’ex-Union soviétique pour un gain évalué à deux millions d’euros.

 

 Par Guillaume Beaussonie