La Commission européenne a fait l’annonce le 21 novembre de « sanctions » relatives au budget présenté par le gouvernement italien. En quoi consistent ces sanctions et que risque le gouvernement italien ?

Décryptage par Francesco Martucci, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« In fine, le pouvoir de décision appartient au Conseil qui représente les États membres »

 Quelles sont les règles et les procédures en cause ?

Le 21 novembre 2018, la Commission a adopté une série d’actes relevant du semestre européen dont relève la procédure engagée à l’encontre de l’Italie au titre du pacte de stabilité et de croissance (PSC). Celui-ci désigne l’ensemble des règles et des procédures dans le cadre duquel les États membres conduisent leur politique budgétaire dans le respect de l’interdiction des déficits excessifs consacrée par l’article 126 du traité FUE. À cet effet, ils sont tenus de présenter un rapport au PIB du déficit et de la dette publics respectivement de 3 % et de 60 %. Pour le respect de ces règles, le PSC – qui est régi par des règlements adoptés en 1997 et modifiés en 2011 et 2013 – comporte trois volets : préventif, correctif et répressif. Afin de prévenir le déficit excessif, les États présentent un objectif budgétaire à moyen terme – faisons simple – à l’équilibre budgétaire et, pour les plus endettés, une trajectoire d’ajustement visant à réduire la dette publique. En cas d’apparition ou de risque manifeste de déficit excessif, le volet correctif du PSC est mis en œuvre. Le volet répressif est actionné si le déficit excessif persiste. La Commission a engagé à l’encontre de l’Italie les volets préventif et correctif du PSC, mais cet État n’est pas le seul concerné. Pour le volet préventif, la Commission estime que trois États (Estonie, Lettonie et Slovaquie) respectent globalement le PSC en 2019, mais présentent un risque de dérapage par rapport à l’objectif budgétaire à moyen terme ; le risque est important pour quatre autres États (Belgique, France, Portugal et Slovénie). Pour le volet correctif, la Commission reproche à la Hongrie et la Roumanie de ne pas avoir respecté les recommandations du Conseil visant à réduire leurs déficits. L’Espagne devrait repasser sous la barre des 3 % en 2019, ce qui mettra un terme à la procédure corrective du PSC. Si la Commission joue un rôle central dans ces procédures, la décision revient au Conseil qui représente les États membres.

Pour quelles raisons le cas de l’Italie est-il si problématique ?

L’attention se focalise sur l’Italie pour deux raisons. La première est que le gouvernement a présenté un budget 2019 qui ne respecte pas les recommandations que le Conseil lui a adressées le 18 juillet 2019. Or, ces recommandations avaient pour objet, et c’est la seconde raison, d’inviter l’Italie à adopter une trajectoire d’ajustement visant à réduire la dette publique. Celle-ci est en effet particulièrement élevée puisqu’elle a atteint 131,2 % du PIB en 2017. Selon la Commission, le projet de plan budgétaire du gouvernement italien pour 2019 ne permet pas de respecter la trajectoire d’ajustement. En effet, celui-ci évalue le déficit et la dette publics respectivement à 2,4 % et 129, 2 % du PIB, alors que la Commission estime que les chiffres sont de 2,9 % et 131 %, les décimales du déficit n’ayant pas d’importance selon Matteo Salvini. La situation italienne se distingue donc clairement de celle d’autres États membres qui, bien que ne respectant pas nécessairement les valeurs de référence de 60 % de la dette (cas français), voire de 3 % du déficit (cas espagnol), s’inscrivent dans une trajectoire d’ajustement permettant un assainissement budgétaire. A l’inverse, les mesures électorales traduites dans le projet de loi de finances visent notamment à baisser les impôts, à réformer les retraites, tout en introduisant un revenu universel, dans un contexte de croissance atone. Le ton employé par les ministres italiens n’a pas nécessairement amélioré les choses. Entre rhétorique dannunzienne et ritournelle squadriste, le « me ne frego di Bruxelles » (« Je m’en fous de Bruxelles », littéralement) scandé par le ministre de l’Intérieur Salvini a signifié le refus de modifier le projet de budget. Une discussion s’est néanmoins engagée, techniquement, entre le ministre de l’économie Tria et le commissaire Moscovici, et politiquement entre le président du Conseil Conte et le président de la Commission Juncker. Soulignons qu’in fine, le pouvoir de décision appartient au Conseil qui représente, on insiste, les États membres.

Que risque l’Italie ?

Si certains s’offusquent de cette ingérence dans la souveraineté budgétaire de l’État, l’Italie a ratifié les traités UE et FUE : État membre, elle doit respecter le droit de l’Union. En cas de non-respect des règles budgétaires, elle peut subir les procédures du PSC, réformé par le six Pack et le two Pack (en faveur desquels l’Italie a voté au Conseil). Au titre du volet préventif, la procédure s’arrêtera à une recommandation non contraignante du Conseil. Au titre du volet correctif, la Commission doit encore inviter le Conseil à constater l’existence du déficit excessif et à recommander les mesures en vue d’y remédier. Si l’Italie persiste dans son déficit excessif, le volet répressif pourrait être engagé, ce qui n’a jamais été fait. Depuis le six Pack de 2011, le Conseil peut décider des sanctions dans le cadre des volets préventif et correctif du PSC. La sanction est théorique, le précédent de l’Espagne et du Portugal montrant la mansuétude du Conseil (les sanctions ont été abrogées). La seule sanction que subit l’Italie est celle du marché et se manifeste par le spread, i.e. l’écart entre le taux d’intérêt auquel empruntent les États et celui appliqué à l’Allemagne. Le spread, indicateur purement financier, reflète la confiance qu’accordent les créanciers à l’État emprunteur, confiance dégradée pour l’Italie dont le taux d’intérêt est au 23 novembre de 3,4 % contre 0,7 pour la France. L’État, les entreprises et les ménages italiens voient donc leur accès au crédit restreint par le marché, aiguisant le risque d’une crise de la zone euro, justifiant que les autres États accentuent la pression sur l’Italie. L’Autriche, et même la Hongrie – qui ne vote pas au Conseil ces mesures puisque ne participant à la zone euro – ont rappelé le respect des règles budgétaires. S’il entend violer les règles, le gouvernement italien peut toujours se retirer de l’Union, seule voie pour sortir de la zone euro. On est loin d’un Italxit, auquel les Italiens ne sont guère favorables.

Par Francesco Martucci