Un projet de loi du gouvernement hongkongais visant à autoriser les extraditions vers la Chine a été le point de départ des manifestations qui secouent le pays depuis déjà quelques semaines.

Décryptage par Lucie Delabie, professeur de droit à l’Université Picardie Jules Verne.

« La crainte des opposants à ce projet est que les ressortissants transférés vers la Chine, notamment originaires de Hong Kong, soient soumis à un système judiciaire chinois non transparent, ne garantissant pas le respect des droits de l’homme et de l’ « État de droit » »

En quoi consiste ce projet de loi que les manifestants souhaiteraient suspendre ?

Les protestations qui agitent Hong Kong depuis plusieurs semaines sont liées à la présentation par les autorités exécutives locales d’un projet de loi sur l’extradition de personnes se trouvant sur l’île et soupçonnées d’activité criminelle sur le territoire d’Etats étrangers ou de la République populaire de Chine. Annoncé en février dernier, introduit en avril devant le Conseil législatif de Hong Kong, il s’agirait d’amender la législation en vigueur sur le sujet afin d’éviter que les criminels ne se réfugient à Hong Kong pour échapper à des poursuites judiciaires.

À l’heure actuelle, les modalités d’assistance et d’extradition sont conditionnées à la signature d’accords bilatéraux avec les juridictions susceptibles de demander le transfert d’un individu pour le juger. Sont expressément exclues toutes les demandes d’assistance et d’extradition formulées par les juridictions de la République populaire de Chine.

En vertu du projet présenté, un accord d’extradition ne serait plus nécessaire au transfert du présumé criminel. La demande d’extradition serait alors examinée au cas par cas avec les États étrangers qui n’auraient conclu aucun accord bilatéral, ou avec le gouvernement central chinois. Le département de la justice de Hong Kong qui recevrait une demande vérifierait que les conditions de l’extradition sont remplies (qualification de crime en vertu de la législation de Hong Kong et de la législation de l’État demandeur, crime appartenant à la liste des 37 crimes recensés dans le projet comme punissables de 7 ans ou plus de prison, crime non punissable de la peine de mort, exclusion d’une infraction politique). Une fois ces éléments vérifiés, il appartiendrait au seul chef de l’exécutif de Hong Kong d’accepter la demande formulée.

La crainte des opposants à ce projet est que les ressortissants transférés vers la Chine, notamment originaires de Hong Kong, soient soumis à un système judiciaire chinois non transparent, ne garantissant pas le respect des droits de l’homme et de l’ « État de droit ». Outre les risques de politisation des procès intentés, l’indépendance juridique et judiciaire de Hong Kong vis-à-vis de la Chine serait remise en cause. Réagissant formellement à ce projet le 2 avril dernier, l’Ordre des avocats du barreau de Hong Kong estime que le texte est contraire à l’Ordonnance de 1997 sur les délinquants fugitifs qui exclut formellement l’application  des dispositions à la République populaire en raison de deux systèmes de justice pénale profondément opposés, notamment en termes de protection des droits fondamentaux. Tandis que le système juridique et le modèle politique de Hong Kong ont connu l’influence de la Common Law,  des principes démocratiques et du libéralisme occidentaux, le territoire reste une région spéciale de la Chine dont le système juridique est de tradition civiliste et le modèle politique marqué par l’idéologie du marxisme-léninisme.

Quel est le statut juridique de Hong Kong ?

L’actuel statut de Hong Kong est le fruit d’une histoire complexe. Ancienne colonie britannique,  la situation de Hong Kong résulte d’une série d’accords conclus entre la Chine et le Royaume-Uni au cours du XIXe et du XXe siècles. Le premier d’entre eux, le traité de Nankin conclu en 1842, proclame la cession de Hong Kong par la Chine au Royaume-Uni. En 1898, un nouvel accord (« seconde convention de Pékin ») est signé entre les deux puissances et concède au Royaume-Uni un bail de 99 ans sur l’ensemble des nouveaux territoires constituant le nord du territoire actuel de Hong Kong. C’est finalement une « Déclaration commune » de la République populaire de Chine et du Royaume-Uni, conclue sous forme de traité bilatéral en 1984, qui scelle le retour de Hong Kong sous souveraineté chinoise avec prise d’effet le 1er juillet 1997.

En vertu de cette « Déclaration », Hong Kong bénéficie néanmoins d’un statut administratif spécial conformément à l’article 31 de la Constitution chinoise. En vertu du principe « un pays, deux systèmes », Hong Kong est en effet une « région administrative spéciale » (RAS) tel que reconnu par la Loi fondamentale de Hong Kong adoptée en 1990 (« Basic Law »). Elle détient une constitution propre, ainsi qu’un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire distincts de la Chine. Investi de pouvoirs autonomes, Hong Kong dispose d’un « haut degré d’autonomie », incluant la capacité à entretenir des relations internationales et à conclure des traités dans un certain nombre de domaines. Il est toutefois à noter qu’en vertu de l’article 13 de la Loi fondamentale, même si Hong Kong est autorisé à conduire ses affaires externes, le Gouvernement populaire central, représentant l’État unitaire chinois, reste responsable de la conduite des affaires étrangères de Hong Kong et assure la supervision de ses actions. La compétence en matière de défense et d’affaires étrangères reste du ressort de la Chine.

 Quel serait l’avenir de Hong Kong ?

Le 15 juin 2019, la cheffe de l’exécutif de Hong Kong, Carrie Lam, a décidé, au vu de l’ampleur des protestations (avocats, chambres de commerce, diplomates occidentaux, capitaines d’industries), de suspendre l’examen du projet d’amendement en deuxième lecture au Conseil législatif et d’organiser des consultations avec la société civile avant de relancer les travaux législatifs.

Les réactions suscitées à Hong Kong et dans les pays occidentaux illustrent la place de Hong Kong sur la scène internationale, en particulier en matière économique. Membre à part entière de plusieurs organisations internationales économiques, classé par la Banque mondiale 4e économie où il est le plus facile de faire des affaires dans le monde, Hong Kong est aussi le territoire par lequel deux tiers des investissements étrangers transitent vers la Chine. À ce titre, la Région administrative spéciale doit veiller à conserver un cadre propice aux investissements et à préserver les droits des ressortissants étrangers.

En témoigne la réaction des États-Unis, dont 18% des entreprises ont une activité à Hong Kong et octroient des avantages commerciaux (réduction des tarifs douaniers) aux produits exportés depuis l’île vers les États-Unis. Ces derniers n’ont pas manqué de rappeler que le projet proposé par l’exécutif pourrait les conduire à revoir leurs relations avec Hong Kong. Outre que les tensions entre la Chine et les États-Unis en matière commerciale expliquent la position américaine, les États étrangers peuvent craindre que leurs ressortissants résidant à Hong Kong se trouvent dans une situation les conduisant à être extradés et jugés par des juridictions chinoises (corruption, extorsion, crimes en matière fiscale…), les stratégies commerciales sous-jacentes y afférentes ne pouvant être exclues.

Cette stature internationale semble assurer à l’île des garanties contre l’emprise croissante que la République populaire de Chine entend étendre sur Hong Kong. Reste que le statut juridique de ce territoire et son « autonomie » au sein de la République populaire, ne perdureront peut-être pas au-delà de 2047. Conformément à la « Déclaration commune » de 1984 , la Chine a pris des engagements envers Hong Kong pendant les cinquante années suivant le retour du territoire sous sa souveraineté. Rien n’indique qu’au-delà de cette date, elle ne modifiera pas sa politique à l’égard de cette RAS, compte tenu notamment de la tendance du gouvernement central à réintégrer les territoires chinois à la mère patrie. Au-delà des conditions d’application des traités conclus de manière autonome par Hong Kong, se poseraient alors en droit international bien d’autres difficultés, à commencer par le nombre de voix dont disposerait la Chine au sein d’organisations internationales comme l’OMC.

Pour aller plus loin :

Par Lucie Delabie.