De nouvelles révélations ont émergé ces derniers jours dans la presse, concernant des ristournes accordées à l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, lors des dernières élections présidentielles. Le rôle de la CNCCFP (Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques) est également pointé du doigt.

Après un premier billet sur le sujet, Romain Rambaud, professeur de droit à l’Université de Grenoble, décrypte les dernières révélations.

« L’affaire a révélé que à côté des règles de fond sur le financement des campagnes, ce sont les modalités de contrôle qu’il faut aujourd’hui améliorer »

Quelles évolutions le dossier a-t-il connu ces dernières semaines ?

Après les révélations de Mediapart puis du Monde sur les remises dans les comptes de campagne d’Emmanuel Macron (qui ont fait l’objet d’un billet précédent), la cellule investigations de France Info a continué à analyser le contenu des comptes et a trouvé d’autres factures dans laquelle des remises avaient été faites. Dans l’émission « Secrets d’Info » diffusée le samedi 9 juin et dont les principaux éléments ont été diffusés à partir du 4 juin, il a ainsi été fait état de la location de la salle Bobino puis du théâtre Antoine à des prix très inférieurs à ceux pratiqués classiquement. Il en allait de même pour d’autres prestations, par exemple pour la location de la Bellevilloise, facturée très en deçà de ce qui avait été demandé à Benoit Hamon, pour la location de la Mutualité, pour une soirée organisée sur une péniche à Lyon, pour des factures d’Eurydice ou de Nation Builder. Pour les journalistes, s’appuyant sur un document interne à la commission, il s’agit de remises illégales car contraires à l’article L. 52-8 du code électoral en vertu duquel « Les personnes morales (…) ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat (…) en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ». Ces nouveaux éléments ont produit des réactions, notamment de la part de députés de la France Insoumise, qui ont également avancé que la publication d’un décret du 30 mai 2018 prévoyant l’augmentation de la rémunération du président de la CNCCFP devait être interprétée comme une « récompense » de la part du Président Macron pour service rendu, accusations relayées notamment par l’association Anticor.

Ces accusations très graves ont donné lieu à une réaction sur France Info du président de la CNCCFP, M. François Logerot, qui a assuré que la commission n’avait pas commis d’erreur dans la mesure où les prestations étaient à chaque fois différentes et que les prix de marché étaient difficiles à établir en matière d’événementiel, admettant pour quelques factures que des remises n’avaient pas été indiquées. La République en Marche a réagi par un communiqué de presse du 10 juin 2018 pour expliquer les différences de tarifs. Enfin, le 8 juin, le nouvel Observateur publiait un article montrant que Benoit Hamon, également, avait bénéficié de remises à hauteur de 300.000 euros…

Assiste-t-on à une remise en cause des comptes de campagne du Président de la République ?

Suite à ces révélations, Jean-Luc Mélenchon a demandé le réexamen des comptes de campagne de tous les candidats. Cependant, comme nous l’avons déjà dit dans notre billet précédent, la validation des comptes est définitive et il n’existe sans doute pas de recours de la part de tiers pour remettre en cause les décisions de la CNCCFP. La voie pénale serait en revanche envisageable dans le cas où l’autorité judiciaire considérerait qu’une infraction a été commise, ce qui n’est pas établi à ce stade, contre des membres de l’équipe de campagne ou les entreprises concernées.  Le Président de la République est en revanche intouchable en raison de l’immunité présidentielle. On pourrait même imaginer que certains candidats malheureux se constituent partie civile…

Qu’est-ce que cette affaire révèle d’un point de vue juridique ?

Plusieurs points doivent être soulignés, sur le fond et sur la CNCCFP.

Sur le fond, il en ressort une indétermination forte des possibilités offertes aux candidats en ce qui concerne les remises par l’intermédiaire de la notion de « pratique commerciale habituelle ». Sur ce point, les journalistes de France Info ont plutôt sur-interprété le document interne de la CNCCFP selon lequel « la commission admet, en principe, que des rabais ou remises puissent être accordés dans une limite maximale comprise entre 15% et 20% du montant de la facture initiale », indiquant que le rapporteur doit « vérifier que les rabais ou remises commerciales éventuellement consentis par un fournisseur n’excèdent pas la pratique commerciale habituelle (environ 15%) » et « dans le cas contraire, engager une procédure contradictoire annonçant le rejet pour don de personne morale » : ce document ne signifie pas que le rejet doit être automatique mais que la procédure contradictoire, c’est-à-dire l’échange avec les candidats, commence à partir de ce seuil avec la menace d’une qualification pour don de personnes morales. Cela n’empêche pas la CNCCFP d’apprécier en l’espèce le rabais en question et de considérer que les explications fournies sont suffisantes : ainsi, dans un communiqué de presse publié le 7 mai 2018, la commission a estimé que des remises de 20 ou 30 % étaient tout à fait acceptables. Quant aux remises plus importantes, elle les a acceptées au nom de diverses pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle. Pour ce faire, la CNCCFP a notamment utilisé, de façon ponctuelle, le pouvoir qui lui a été donné de faire appel à des experts par la loi du 25 avril 2016. Il reste que l’on peut regretter cette indétermination : une réflexion sur cet aspect paraît indispensable à mener, ne serait-ce que pour faciliter la tâche des équipes de campagne et des entreprises…

Mais c’est sur la composition et le contrôle de la CNCCFP que cette affaire jette la lumière la plus crue. D’une part, le fait que la CNCCFP est composée de magistrats honoraires a pu être considéré par certains comme problématique. Sur ce point, l’interprétation du décret du 30 mai 2018 était d’ailleurs fallacieuse et frappée de contresens : en effet, l’adoption de ce décret fait suite aux dispositions de la loi du 20 janvier 2017 prévoyant le fait que le président de la CNCCFP travaille « à plein temps », l’objectif étant aussi de revaloriser la rémunération afin de rendre pour l’avenir cette fonction plus attractive. En 2017, le président de la CNCCFP gagnait 55.000 euros, contre 100.000 euros pour le président de la HATVP et 160.000 euros pour le Défenseur des droits ! Il est temps que la CNCCFP soit considérée conformément à l’importance qu’elle a prise. D’autre part, le caractère exclusivement déclaratif et sur pièces du contrôle de la CNCCFP, ainsi que ses faibles pouvoirs d’enquête et ses délais très courts pour examiner les comptes (6 mois), s’avèrent aujourd’hui nettement insuffisants. En somme, cette affaire a révélé qu’à côté des règles de fond sur le financement des campagne, ce sont les modalités de contrôle qu’il faut aujourd’hui améliorer… un point sur lequel les récentes lois (août 2016, mars 2017, septembre 2017) ne se sont jamais penchées.

Par Romain Rambaud