La Nouvelle-Calédonie a choisi de rester dans la République française à l’issue du scrutin du dimanche 4 novembre dernier.

Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux, maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale ainsi qu’à Sciences Po, auteur de la note publié en juillet 2017 par le Club des juristes « Etat associé ou fédéré, des pistes pour l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ? », décrypte ce résultat.

« Les mois qui viennent ne seront pas calmes »

Quelles leçons peut-on tirer du scrutin de dimanche ?

Il faut d’abord se féliciter des conditions dans lesquelles il a pu se dérouler. Que son résultat ne soit contesté par personne n’était pas écrit, il y a – ne serait-ce – qu’un an. Pendant des mois cette échéance a nourri tous les fantasmes et sa préparation fut l’occasion de toutes les inquiétudes. Pour les dissiper et assurer corrélativement la bonne organisation du scrutin, l’Etat, et singulièrement le Premier ministre lors du dernier comité des signataires du 2 novembre 2017 a su rassurer en parvenant à construire des accords sur un dispositif permettant à une grande majorité de Calédoniens d’être inscrits d’office sur les listes électorales. De plus afin d’assurer la transparence de l’ensemble du processus, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel et l’Organisation des Nations Unies ont été judicieusement associés aux étapes essentielles de cette préparation. En agissant ainsi l’Etat a montré qu’il n’est pas seulement arbitre des accords et des avancées, il en est l’acteur, avec les indépendantistes et avec les non-indépendantistes.

Ensuite, les résultats confirment que dans une démocratie, on ne convoque jamais impunément le peuple aux urnes. Les électeurs se trompent rarement de scrutin. Et les pronostics sont par définition toujours hasardeux. Dès lors, il est prudent d’attendre que les urnes soient closes pour se projeter sur l’avenir. Ainsi depuis dimanche soir, maintenant que certains rêves se sont estompés et que certaines certitudes se sont effondrées, c’est à partir des réalités qui se sont imposées que va s’ouvrir une période qui va courir jusqu’en mai 2019, date de la prochaine élection provinciale. Au rang de ces paramètres, je place principalement le résultat net en faveur du maintien dans la République et la détermination de la population kanak à construire son indépendance.

Enfin, ce que nous venons de vivre n’est qu’un moment, pas une fin. Et en Océanie, plus qu’en Europe, le facteur temps joue considérablement. Il faut donc maintenant porter toute l’attention sur les prochaines étapes et notamment sur l’élaboration d’un statut durable pour la Nouvelle Calédonie. Dans la Constitution, le régime d’exception organisé par le titre XIII est en effet « transitoire » et son contenu profondément dérogatoire à ce qui vaut pour le reste de la République. Ainsi par exemple, que va devenir cette « citoyenneté calédonienne » (qui ouvre un droit prioritaire à l’emploi et exclut du vote aux élections provinciales environ 25 000 nationaux français) alors que même dans un état fédéral, la citoyenneté est exclusive de l’Etat achevé ?

Quels sont les différents scénarios possibles ?

Les mois qui viennent ne seront pas calmes. Les forces politiques vont en effet maintenant préparer les provinciales. Certaines d’ailleurs y pensent en permanence et ont déjà, par les thèmes défendus lors de cette campagne référendaire, entamé la compétition. Ce contexte et le mode de scrutin (la proportionnelle à la plus forte moyenne selon l’art. R 241 du Code électoral) vont aiguiser les différences d’autant plus que chaque sensibilité va trouver dans les résultats des motifs de satisfaction.

Ainsi les indépendantistes ont doublé leur résultat en province Sud et ils sont nettement majoritaires dans les deux autres provinces qu’ils dirigent déjà (75,82 % de « oui » dans le Nord et 82,18 % dans les Iles Loyauté). Ils seront donc naturellement tentés d’y lire une dynamique, ce qui pourrait les conduire à durcir leur discours comme s’y est déjà essayé le président du principal parti indépendantiste lors d’un comité directeur début octobre 2018 en évoquant «l’axe du mal que sont les anti-indépendantistes ».

De même, les partisans de la Calédonie dans la France forts de leur victoire mais lucides sur son étendue peuvent être tentés de hausser le ton en pratiquant une surenchère destinée à démontrer que ce référendum a définitivement « purgé l’indépendance » pour reprendre l’expression vive du sénateur Pierre Frogier. Il suffit d’observer l’inutile débat qu’ils viennent de lancer sur l’intérêt de maintenir le 2nd et le 3ème référendum, qui figurent dans l’Accord !

Sans oublier les extrémistes de toutes sensibilités qui, marginalisés pendant le débat référendaire ou désavoués par la hauteur de la participation alors qu’ils appelaient explicitement au boycott, retrouveront une réelle capacité d’inflammation d’une scène politique qui est toujours sous tension.

Le tout sur fond d’une morosité économique, puisqu’en dépit d’un second trimestre qui a vu « l’indicateur du climat des affaires » édité par l’IEOM, qui résume l’opinion des entrepreneurs calédoniens sur la conjoncture locale repartir à la hausse, le nombre d’emplois dans le secteur privé continue à s’éroder. Les enjeux économiques et sociaux constituaient pourtant aussi l’un des ressorts des accords de Matignon et de Nouméa…

On peut cependant espérer que dans chaque camp, des voix s’élèveront pour tempérer les excès et éviter les ruptures. Celles-ci pourront souligner que les suffrages en faveur de l’indépendance (43,6 %) viennent quasiment uniquement de la communauté kanak qui représentait 46 % des inscrits sur la liste électorale. Elles pourraient aussi rappeler que la modestie de quelques résultats aux dernières législatives (par exemple 14 % pour le candidat soutenu par LR dans la 1ère circonscription qui compte Nouméa) devrait conduire à tempérer les tempéraments belliqueux.

Reste que dans tous les cas, sur le plan institutionnel, rien de sérieux ne pourra avancer tant que cette consultation électorale n’aura pas eu lieu.

Que peut faire l’Etat dans cette période ?

Continuer à rappeler que si la recherche d’un nouveau consensus ne sera pas la voie la plus simple à emprunter, elle demeure la plus sage. Veiller dans la mesure de ses moyens à ce qu’une amertume durable née des résultats de dimanche ne réponde à une exaltation irraisonnée. Et surtout mettre en chantier, le travail sur les prochaines évolutions du statut calédonien. Par exemple, est-il possible de tirer d’autres conclusions de la constitutionnalisation de l’Accord de Nouméa par l’art. 76 comme une possible extension au droit pénal ? Aujourd’hui, la compétence pénale accessoire qui existe en Nouvelle-Calédonie dépend de la contrainte de la loi étatique. Peut-on aller plus loin ? Au sein des juridictions civiles siègent des assesseurs coutumiers, ne serait-il pas opportun de l’envisager pour les juridictions pénales ? Est-il envisageable d’étendre la compétence de la coutume dans le cadre de la réparation pénale ?

Par Jean-Jacques Urvoas