Faute de majorité, la Première ministre britannique Theresa May a décidé le 11 décembre de repousser le vote prévu le lendemain, à la Chambre des communes, sur l’accord de Brexit négocié avec les dirigeants européens. Son propre camp, le Parti conservateur a alors immédiatement décidé d’organiser un vote de défiance à son égard.

Décryptage par Aurélien Antoine, professeur à l’Université Jean-Monnet de Saint-Etienne et Directeur de l’Observatoire sur le Brexit.

« C’est le paradoxe du contexte britannique actuel : toutes les alternatives à la stratégie de Theresa May ne sont pas plus crédibles, voire moins pertinentes »

En quoi consiste le vote de défiance au sein du parti conservateur ?

Au Royaume-Uni, les membres du Parlement (MPs), tories et non membres du Gouvernement (backbenchers) sont réunis au sein de la Commission 1922 (1922 Committee). Ils peuvent enclencher une procédure de défiance contre son leader qui, lorsque le parti est dominant à la Chambre, est forcément le Premier ministre. Le processus est lancé dès lors que le président du Comité (actuellement Sir Graham Brady) reçoit au moins 48 lettres exprimant de manière explicite la volonté de leurs auteurs de changer de chef (soit 15 % des MPs). Il s’ensuit un vote de l’ensemble de la Commission qui décide à la majorité simple si le leader le reste ou pas (soit 158 MPs). Gagner en nombre de voix ne signifie pas forcément remporter la victoire. Margaret Thatcher l’a appris à ses dépens. En 1990, bien qu’elle ait été soutenue par une majorité de backbenchers au premier tour, sa victoire fut considérée comme trop étriquée afin qu’elle puisse se maintenir au second tour. À l’époque, la défiance avait été notamment fomentée par Michael Heseltine, un tory pro-européen qui voulait « la peau de Maggie ». Aujourd’hui, il se dit que les opposants de Theresa May ne doivent pas réunir plus de 100 MPs pour qu’elle soit confirmée à son poste. Il est encore difficile d’affirmer que la barre fatidique de la centaine sera franchie. Les hard Brexiteers sont moins d’une centaine dans les rangs conservateurs, mais ils pourraient bénéficier du renfort de soft Brexiteers tout aussi hostiles à Theresa May. Il s’agirait d’une alliance de circonstance contre nature. Cette perspective n’est pas à exclure et conduirait vraisemblablement à la chute de la Première ministre, à moins qu’elle décide de rester au 10 Downing Street malgré sa défaite et jusqu’à ce qu’un nouveau leader soit désigné (ce que fit John Major en 1993). Si Theresa May l’emporte, elle sera confirmée dans ses fonctions pour 12 mois au moins. Elle sortirait renforcée d’un combat au sein de son parti si elle rassemble une large majorité sur son nom. Seul le Parlement pourrait alors la renverser.

Quelles seraient les modalités d’une défiance à la Chambre des Communes ?

Un vote défavorable des Communes sur le projet d’accord, prévu initialement le 11 décembre aurait vraisemblablement entraîné la démission de Theresa May, ce qui explique son report sine die. L’Opposition travailliste, en parallèle des manœuvres au sein du parti conservateur, cherche néanmoins à réunir suffisamment de parlementaires pour qu’une défiance soit votée à la Chambre basse. Si une majorité de MPs se rallie à l’initiative de Jeremy Corbyn, le leader du Labour, l’Opposition peut se déclarer prête à diriger le pays grâce à un Gouvernement de coalition. Si elle n’y parvient pas (et si le parti conservateur n’arrive pas non plus à proposer une équipe gouvernementale viable à la Reine), le Fixed-Term Parliaments Act de 2011 s’appliquera en vue d’une dissolution du Parlement.

Une dissolution du Parlement est-elle possible ?

Sur la demande du Premier ministre (comme lors des élections de 2017) ou unilatéralement, les Communes peuvent se dissoudre si les MPs le décident à la majorité des deux tiers. Un autre cas est prévu. Si, à la suite de la démission du Gouvernement, les parlementaires ne trouvent pas de remplaçant dans un délai de quatorze jours, la dissolution sera automatique. Des élections anticipées seront alors organisées, au plus tôt à la toute fin du mois de janvier. La ratification du traité serait suspendue et une demande de prolongation des négociations de la part du Royaume-Uni au Conseil européen sur la base de l’article 50 du TUE serait probable. En ce cas, les Britanniques devront obtenir l’accord unanime des 27 États membres.

Un changement de Gouvernement pourrait-il débloquer la situation ?

C’est le paradoxe du contexte britannique actuel. Toutes les alternatives à la stratégie de Theresa May ne sont pas plus crédibles, voire moins pertinentes. La tenue d’élections anticipées n’est pas voulue par les conservateurs et le DUP, qui ont trop à y perdre. Jeremy Corbyn aura ainsi le plus grand mal à renverser le Gouvernement, d’autant que ses convictions sur le Brexit sont pour le moins floues. Il n’a cessé de répéter que le projet d’accord n’avait pas satisfait aux exigences du programme politique du Labour, ce qui signifie qu’il souhaite lui aussi renégocier le traité et la déclaration politique sur les relations futures. Or cette option est écartée par les Européens. Une difficulté similaire se pose pour les opposants conservateurs à Theresa May. Les hard Brexiteers, comme les remainers, ne pourront pas compter sur la solidarité partisane. Seul le rejet d’un no deal réunit une très large majorité de MPs sur le sujet du Brexit et, pour l’heure, seul le Gouvernement actuel est en mesure de l’éviter dans les délais impartis.

Rappelons enfin qu’un nouveau référendum est peu probable dans l’immédiat. Primo, les deux partis y sont toujours partiellement hostiles (le labour n’en a fait qu’une vague option à l’issue de la conférence de l’automne). Deuxio, il paraît difficile de lancer une campagne référendaire alors que le temps est compté pour parvenir à un accord avant le 29 mars. Tertio, le résultat reste incertain. La consultation du peuple impliquerait donc nécessairement une extension de la durée des négociations sur le fondement de l’article 50 du TUE.

Finalement, si Theresa May venait à démissionner, il serait souhaitable qu’un Gouvernement de coalition se constitue et demande le prolongement des négociations en vue d’obtenir un accord sur le modèle norvégien. Ce résultat est loin d’être garanti, mais il apparaît comme étant le plus rationnel en cas de crise politique grave au Royaume-Uni.

Par Aurélien Antoine