Depuis la démission de Theresa May le mois dernier, le parti conservateur doit bientôt nommer son nouveau chef, qui deviendra le nouveau Premier ministre du Royaume-Uni. Parmi les candidats, Boris Johnson et Jeremy Hunt. Si Boris Johnson a affirmé qu’il souhaitait que le Royaume-Uni quitte l’UE le 31 octobre (que l’accord soit renégocié ou pas) et qu’il refuserait de payer la facture Brexit, son rival, Jeremy Hunt a annoncé qu’il comptait renégocier l’accord de sortie conclu en novembre avec Bruxelles.

Décryptage par Aurélien Antoine, professeur de droit à l’Université Jean-Monnet/Saint-Étienne, directeur de l’observatoire du Brexit.

« La sortie sans traité est toujours possible. Une interrogation demeure sur la capacité du Parlement britannique à s’opposer au no deal assumé par l’Exécutif. »

Le changement de Premier ministre est-il susceptible de faire évoluer la position des institutions européennes ?

Alors que le nom du futur leader du parti conservateur qui deviendra Premier ministre n’est pas encore connu, les deux candidats encore en lice prévoient de rouvrir les négociations avec l’Union européenne. Leur objectif est d’amender les projets de traité de sortie et de déclaration politique sur les relations futures adoptés en novembre 2018. Le favori pour accéder au 10 Downing Street, Boris Johnson, soutient l’idée de nouvelles discussions avec l’Union européenne. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a clairement affiché son hostilité à l’égard d’une telle hypothèse. Dans une interview donnée le 11 juin dernier au quotidien belge Le Soir, il a souligné que le « traité entre le Royaume-Uni et l’UE, (…) doit être respecté par le prochain Premier ministre britannique quel qu’il soit », et que, dès lors, « l’accord ne sera pas renégocié. »

Les affirmations de Jean-Claude Juncker sont juridiquement discutables : tant que les institutions britanniques et européennes n’ont pas ratifié le traité, il est toujours possible de revenir dessus et, en conséquence, de ne pas le respecter. Politiquement, en revanche, les Britanniques ne sont naturellement pas en mesure de forcer les Européens à revenir à la table des négociations. En somme, le prochain chef des conservateurs tient un propos juridiquement cohérent, mais politiquement irréaliste. Une fois de plus, le Brexit est le théâtre d’une alchimie complexe et souvent contradictoire entre les réalités politiques et les logiques juridiques.

Le Royaume-Uni peut-il refuser de se conformer à ses engagements budgétaires à l’égard de l’Union européenne ?

Dans un entretien accordé au Sunday Times le 9 juin, Boris Johnson a plus exactement menacé l’Union européenne de conditionner le respect de l’engagement budgétaire contenu dans le texte signé en novembre 2018 en ces termes : « nos amis et partenaires doivent comprendre que l’argent sera conservé jusqu’à ce que nous soyons plus au clair sur ce qui nous attend. Pour obtenir un bon accord, l’argent est un excellent solvant et un très bon lubrifiant. » Cette déclaration n’est pas d’une grande limpidité. Il est difficile de penser qu’il vise l’accord, car il est particulièrement précis sur les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il exige sans doute plus de clarté sur la future relation commerciale. Dans ce cas, il se méprend, car les modalités du règlement du reliquat budgétaire dû par le Royaume-Uni à l’Union européenne ne dépendent absolument pas de la nature de la relation future. Plus implicitement, il compte lier le respect de l’engagement britannique sur la « facture » du Brexit à une réouverture des négociations dont la probabilité est, pour l’heure, faible.

L’ancien ministre des Affaires étrangères fait néanmoins resurgir un débat qui avait occupé les premiers mois de négociations. Il avait été mis de côté lorsque Theresa May annonça à la fin de l’année 2017 que le Royaume-Uni se conformerait à ses obligations financières[1]. Avec le retour du scénario d’un no deal, la question se pose de savoir si les Britanniques devront quand même se conformer à une obligation juridique de paiement. Dans un rapport du 4 mars 2017, la commission de l’Union européenne de la Chambre des Lords (dont il faut rappeler que la majorité de ses membres est hostile au Brexit et dont les rapports sont réputés pour leur objectivité) considère « que, du point de vue du droit de l’Union européenne, l’article 50 TUE permet au Royaume-Uni de sortir de l’UE sans être redevable d’arriérés financiers liés au budget européen (…), à moins qu’un accord de retrait ne soit conclu pour résoudre ce problème. »[2] Toutefois, les Lords soulignent à juste titre que les États membres pourront porter un contentieux à l’encontre du Royaume-Uni sur le fondement des règles du droit international public (notamment l’article 70, 1, b. de la Convention de Vienne). Il n’en demeure pas moins qu’une telle résolution est peu souhaitable puisqu’elle est longue et difficile à mettre en œuvre. En particulier, aucune juridiction internationale existante (comme la Cour Internationale de Justice) n’est compétente ratione materiae pour cet éventuel litige.

Quoi qu’il en soit des arguments juridiques en cause, la dénonciation éventuelle par le futur Premier ministre des engagements du Royaume-Uni pour l’exercice budgétaire 2014-2020 et de ceux qui avaient été formulés par Theresa May aurait des conséquences diplomatiques catastrophiques. Dans de telles circonstances, nous voyons mal comment les Britanniques pourraient obtenir de l’Union un accord commercial qui leur serait favorable. De surcroît, il ne fait guère de doute que l’UE tentera aussi d’engager un contentieux contre le Royaume-Uni s’il se dédiait de ses promesses.

Le Parlement britannique peut-il contraindre le futur Premier ministre à éviter le no deal ?

Boris Johnson « ne vise pas une sortie sans accord », car il « ne pense pas que ça se terminera comme ça, mais il est responsable de (s’y) préparer avec détermination. » Sa position est donc similaire à celle de l’Union européenne et celle de ses États membres. La sortie sans traité est toujours possible. Une interrogation demeure sur la capacité du Parlement britannique à s’opposer au no deal assumé par l’Exécutif.

Dans un billet publié sur le site de l’Observatoire du Brexit, nous avions expliqué que les députés n’avaient pas les moyens légaux d’éviter avec certitude une sortie sans accord. En revanche, nous soulignions que des conventions politiques pourraient contrarier ce choix. L’actuelle majorité a été constituée à partir de programmes électoraux promettant un accord, tandis que les votes qui se sont déroulés à la Chambre entre décembre 2018 et mars 2019 permettent d’identifier une majorité en défaveur d’un no deal. Par voie de conséquence, en le soutenant explicitement, Boris Johnson s’opposerait à la volonté du Parlement et violerait l’usage selon lequel le parti au pouvoir doit respecter les engagements sur lesquels il a été élu.

Dans cette hypothèse, l’adoption d’un vote de défiance serait cohérente. Elle ne serait évitable que si le futur Premier ministre obtenait le soutien explicite (mais aujourd’hui improbable) des Communes en faveur de l’absence d’accord. Finalement, le no deal ne surviendra que par l’incapacité du Gouvernement et du Parlement britanniques de trouver un terrain d’entente avec l’UE avant le 31 octobre. Ce sera un no deal par accident dont les responsabilités seront partagées.

Pour aller plus loin :

[1] La partie V de l’accord du 14 novembre 2018 détaille d’ailleurs les modalités de calcul des sommes à la charge du Royaume-Uni.

[2] Brexit and the EU budget, 15th Report of Session 2016-17, HL Paper 125, § 134.

Par Aurélien Antoine.