Initialement prévu le 29 mars, puis le 12 avril, les vingt-huit dirigeants de l’Union européenne ont décidé, au cours d’un Conseil extraordinaire réuni à Bruxelles, de fixer le Brexit au 31 octobre 2019.

Décryptage par Aurélien Antoine, professeur de droit à l’Université Jean-Monnet/Saint-Etienne, directeur de l’observatoire du Brexit.

« Il convient de prendre garde à ne pas trop minimiser les répercussions d’une multiplication des reports. »

Que dit la décision du Conseil européen publiée le 11 avril ?

Selon sa décision 20013/19, le Conseil européen a accepté un nouveau report du Brexit sur le fondement de l’article 50 du TUE, § 3. Cette prorogation fait suite à un énième refus du Parlement britannique de s’exprimer en faveur des textes conclus en novembre 2018. L’extension temporelle consentie au Royaume-Uni doit permettre la ratification du traité de retrait et ne saurait être utilisée pour rouvrir les négociations. La présente décision vient d’ailleurs amender l’accord de sortie. Le report ne pourra aller au-delà de la date du 31 octobre 2019. Cette deadline fixée au jour d’Halloween n’est pas anodine. L’actuelle Commission aura cessé ses fonctions à cette date, évitant qu’un commissaire britannique soit nommé dans la nouvelle. La décision rappelle enfin que l’accord pourra entrer en vigueur à tout moment avant le 31 octobre 2019. Le retrait sera acté le premier jour du mois suivant l’accomplissement de toutes les procédures nécessaires à la ratification du traité ou au 1er novembre 2019.

Jusqu’à cette échéance, le Royaume-Uni demeure un État membre investi de tous les droits et soumis à l’ensemble des obligations qui découlent de l’adhésion à l’Union européenne. À ce titre, s’il ne ratifie pas l’accord de retrait avant le 22 mai, il devra organiser les élections au Parlement européen. En cas d’incapacité à se conformer à cette contrainte, le terme de la prorogation interviendra au 31 mai.

L’originalité de la décision tient aux intentions politiques qu’elle recèle. Selon le § 10, le Royaume-Uni ne doit pas porter atteinte au bon fonctionnement de l’Union et de ses institutions. Plus concrètement, le Conseil européen prend note de l’engagement des Britanniques d’agir de façon constructive et responsable dans une optique de coopération loyale et en prenant en compte la spécificité de situation en tant qu’État en partance. Par conséquent, le Royaume-Uni ne devra gêner, sous aucun prétexte, la réalisation par l’UE de ses objectifs et de sa capacité à adopter des décisions.

Qu’est-ce qui motive ce nouveau report ?

Trois arguments sont souvent invoqués pour comprendre l’attitude conciliatrice de l’Union européenne à l’égard des Britanniques. Le premier est économique : il faut éviter à tout prix un no deal (voire le Brexit lui-même) qui aurait des répercussions indéniables sur la croissance et l’emploi en Europe. La deuxième explication est politique : l’UE ne veut pas être tenue pour responsable d’un Brexit sans accord et du rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande. Le dernier motif est plus calculateur. Le renvoi potentiel de la sortie du Royaume-Uni à une date relativement lointaine est de nature à rendre plus plausible la perspective qu’il ne se fasse pas. Entre mai et novembre, six mois s’écoulent, ce qui autoriserait, selon certains analystes, l’organisation d’un nouveau référendum dont le résultat pourrait être le rejet du Brexit. Des élections générales anticipées ne sont pas non plus à écarter. Elles pourraient déboucher sur l’avènement d’une majorité favorable à un soft Brexit ou à une révocation de l’intention de sortir, cas de figure que la décision du 11 avril rappelle explicitement – dans la droite ligne de ce que la Cour de Justice a décidé le 10 décembre 2018. Rappelons que Donald Tusk n’a jamais caché son souhait de voir les Britanniques faire machine arrière. Toutefois, les scénarios évoqués doivent être abordés avec prudence dans la mesure où ils n’offrent aucune certitude sur l’avenir du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne.

Quelles sont les conséquences d’une telle extension ?

À première vue, ce second report n’a pas de conséquences majeures. Les Britanniques ont toujours la possibilité de se retirer de l’Union avant le déroulement des élections européennes. En outre, des garde-fous ont été introduits dans la décision afin que le Royaume-Uni ne contrarie pas la bonne marche de l’UE. De surcroît, la capacité de nuisance des Britanniques est a priori limitée aux domaines qui nécessitent l’approbation à l’unanimité des États membres au sein du Conseil européen ou du Conseil de l’Union européenne. Or les Britanniques n’auront pas intérêt à recourir à leur veto s’ils veulent continuer de bénéficier de la clémence européenne sur le Brexit.

Cependant, il convient de prendre garde à ne pas trop minimiser les répercussions d’une multiplication des reports. En premier lieu, les intentions contenues dans la décision ont plus une portée politique que juridique. Les droits et les obligations des États membres sont fixés par les traités. Tant que le Royaume-Uni appartiendra à l’Union, il pourra toujours s’en prévaloir. Seule une modification des traités est susceptible de l’en empêcher. Or cette option relève du cas d’école. En deuxième lieu, les motivations de l’Union sont telles qu’elle semble ouverte à accepter systématiquement les prorogations : si rien ne change d’ici le mois de novembre, l’UE sera-t-elle plus encline à assumer un no deal et le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande ? C’est fort peu probable. Dès lors, ce second (ou deuxième ?) report est plus important et symbolique que le précédent, car il démontre que les États membres ne sont pas prêts à prendre des risques économiques et politiques, quitte à ce que le Brexit finisse par gêner le fonctionnement de l’Union et les discussions sur les enjeux d’avenir. La preuve en est que, ces derniers jours, les conclusions du sommet UE/Chine ont été complètement éclipsées par les négociations avec le Gouvernement britannique. Le doute commence donc légitimement à s’emparer de plusieurs États membres, suscitant des divisions européennes sur le dossier. La France qui affiche une forme de volontarisme pour réviser quelques politiques de l’Union est peut-être plus consciente des dangers inhérents à des prorogations de moins en moins exigeantes et à l’issue hasardeuse. Elles ont d’ores et déjà des implications juridiques et économiques néfastes : des recours sont portés devant les juridictions britanniques pour contester leur légalité, tandis que les entreprises suspendent, voire annulent des investissements prévus de longue date. En dernier lieu, ces prolongations pourraient être utilement exploitées par les pourfendeurs de l’intégration européenne qui auront beau jeu de soutenir l’argument selon lequel il est finalement impossible de s’en extraire. Quant à l’UE, elle doit prendre garde à ce que l’irrésolution britannique ne la contamine pas, car elle s’exposerait alors à la critique récurrente de son manque d’autorité dans le traitement de sujets sensibles.

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Par Aurélien Antoine.