La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rejeté, le mardi 21 mai, le pourvoi formé par Marine Le Pen, dirigeante du Rassemblement national, qui contestait le remboursement de près de 300 000 euros au Parlement européen pour l’emploi douteux d’une assistante quand elle était eurodéputée.
Vendredi dernier, Le Monde a révélé de nouveaux éléments. Certains SMS et mails semblent montrer que certains anciens assistants et cadres du parti étaient au courant de ce système, ce qui vaut aujourd’hui à Marine Le Pen d’être mise en examen.

Décryptage par Sébastien Platon, professeur de droit à l’Université de Bordeaux

« Seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés.  »

Quel est le cadre juridique des assistants parlementaires européens ?

Il existe deux catégories d’assistants parlementaires européens.

Les assistants parlementaires accrédités sont en poste dans l’un des trois lieux de travail du Parlement européen. Ils sont soumis au régime applicable aux agents non fonctionnaires de l’Union. Leurs contrats sont conclus et gérés directement par le Parlement européen. Ils sont rémunérés selon l’échelle applicable à la fonction publique européenne.

Les assistants locaux assistent les députés dans leur État membre d’élection et qui ont conclu avec eux un contrat de travail ou de prestation de services conformément au droit national applicable. Leur rémunération et leurs conditions de travail varient donc en fonction de l’État membre d’origine.

Les députés au Parlement européen peuvent choisir eux-mêmes leurs assistants dans les limites d’une enveloppe budgétaire définie par le Parlement. En 2019, le montant mensuel maximal disponible pour tous les coûts relatifs au recrutement d’assistants personnels est de 24 943 euros par député. Un minimum d’un quart du budget total doit être affecté à l’emploi d’assistants accrédités.

Sous réserve d’un conflit d’intérêts, un assistant parlementaire peut tout à fait cumuler plusieurs fonctions – à condition, dans le cas des assistants accrédités, de recevoir une autorisation qui ne peut lui être refusée que si l’activité ou le mandat est de nature à entraver l’exercice de ses fonctions ou est incompatible avec les intérêts de son institution. Cependant, seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés.

Quels sont les faits reprochés à Marine Le Pen ?

En décembre 2010, le Parlement a conclu avec Catherine Griset un contrat d’engagement en qualité d’assistante parlementaire de Marine Le Pen, accréditée à temps plein à Bruxelles, pour la période allant jusqu’à la fin de la législature, puis à nouveau du 2 juillet 2014 à la fin de la législature, à la suite de la réélection de Marine Le Pen.

Entre-temps, le 27 juin 2014, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), chargé de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne, a ouvert une enquête interne concernant Mme Le Pen et ses assistants parlementaires. Le 26 juillet 2016, l’OLAF a informé Mme Le Pen qu’il avait clôturé l’enquête. Selon l’OLAF, Mme Griset n’a pas démontré qu’elle résidait en Belgique ni qu’elle se rendait régulièrement à son lieu de travail, en violation de ses obligations statutaires et contractuelles. Toujours selon l’OLAF, Mme Griset n’avait ni déclaré ni demandé l’autorisation pour être assistante, puis chef de cabinet de Marine Le Pen au sein du Front national. Pour ces raisons, l’OLAF recommandait au Parlement, notamment, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le recouvrement des sommes correspondant au montant du préjudice subi par l’Union européenne.

Le 30 septembre 2016, le secrétaire général du Parlement a informé la requérante de l’ouverture d’une procédure de recouvrement des sommes indûment versées. Selon le Parlement, Mme Le Pen n’a pas apporté de preuve que l’assistance que Mme Griset lui a fournie a été nécessairement et directement liée à l’exercice du mandat. De plus, étant donné les fonctions de Mme Griset au sein du Front national, il a estimé que les fonds mis à la disposition de Mme Le Pen avaient en réalité servi à financer ce parti. Par décision du 5 décembre 2016, le secrétaire général du Parlement a estimé que, au cours de la période allant du 3 décembre 2010 au 15 février 2016, un montant de 298 497,87 euros avait été indûment versé, dans le cadre des contrats conclus avec Mme Griset, en faveur de Marine Le Pen, et que ce montant devait être recouvré auprès d’elle.

Pourquoi la justice a-t-elle rejeté le pourvoi ? Marine Le Pen a-t-elle encore une autre possibilité de recours ?

Mme Le Pen a, dans un premier temps, formé un recours en annulation de la décision de 2016 devant le Tribunal de l’Union européenne, invoquant de nombreux moyens, tant de forme et de procédure que de fond. Par un arrêt du 19 juin 2018, le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces moyens.

On relèvera entre autres que le Tribunal rejette toute erreur de fait commise par le secrétaire général du Parlement – et donc, en creux, estime que les faits reprochés à Marine Le Pen sont suffisamment avérés. Le Tribunal relève entre autres que Mme Le Pen n’a fourni aucune preuve d’activité quelconque de Mme Griset au titre de l’assistance parlementaire, n’a produit aucun élément susceptible de démontrer l’existence alléguée d’une résidence de Mme Griset à Waterloo et n’a pas établi la présence de Mme Griset dans les locaux du Parlement.

Le Tribunal rejette également l’allégation d’acharnement contre Mme Le Pen en raison d’un éventuel mobile politique. Il relève que Mme Le Pen n’apporte aucun élément susceptible de constituer un indice permettant de considérer que la décision attaquée aurait été adoptée pour atteindre des fins autres que celles excipées, et rappelle que d’autres procédures analogues pour des faits comparables ont été dirigées contre des députés appartenant à d’autres formations politiques.

Mme Le Pen a introduit le 9 août 2018 un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal devant la Cour de justice, rejeté par une ordonnance du 21 mai 2019. Ce pourvoi étant limité aux seules questions de droit, il n’appartenait pas à la Cour de justice de réexaminer les faits reprochés à Mme Le Pen. La plupart des autres arguments de Mme Le Pen concernaient des questions de procédure, et ont tous été rejetés par la Cour. Mme Le Pen alléguait également que le président du Parlement aurait, à la date de l’adoption de la décision litigieuse, commis des irrégularités de même nature que celles qui lui sont reprochées. La Cour estime que cette circonstance, quand bien même elle serait avérée, n’aurait eu aucune influence sur la légalité de la décision. La Cour confirme en outre la conclusion du Tribunal selon laquelle le secrétaire général du Parlement n’a commis aucun détournement de pouvoir, dans la mesure où un tel détournement n’est, selon elle, concevable que si l’auteur de l’acte en cause dispose d’un pouvoir d’appréciation – ce qui n’est pas le cas pour la décision de recouvrement, laquelle est obligatoire dès lors que des sommes ont été indûment versées.

Il n’existe aucune autre possibilité de recours pour Mme Le Pen – et notamment pas devant la Cour européenne des droits de l’homme, contrairement à ce qu’elle a annoncé sur Twitter, dans la mesure où l’Union européenne n’est pas partie à la Convention européenne des droits de l’Homme.  C’est désormais dans le cadre d’une procédure pénale de droit français que les juges financiers enquêtent sur le financement des assistants parlementaires des députés européens du Rassemblement national.

 

Pour aller plus loin :

 

Par Sébastien Platon