Ont été rendues publiques les images saisissantes de l’interpellation par la police de plusieurs dizaines de lycéens – la tête baissée, menottés, à genoux et, pour certains, face à un mur –, à la suite de faits de destruction dont ils se seraient rendus coupables. Le Défenseur des droits a ouvert une enquête à ce sujet, en tant qu’il est chargé par l’article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 de veiller à la défense des enfants et au respect de la déontologie des forces de l’ordre.

Décryptage par Stéphane Detraz, Enseignant-chercheur à Université Paris Sud (Paris Saclay), faculté Jean Monnet, IDEP.

« La loi ne prévoit rien de spécifique concernant l’interpellation des mineurs »

L’arrestation des lycéens étaitelle possible ?

L’arrestation des suspects en cas de crime ou de délit flagrants, qui est permise par l’article 73 du Code de procédure pénale, n’obéit à aucune règle particulière s’agissant des mineurs. Les officiers et agents de police judiciaire – comme, d’ailleurs, n’importe quel citoyen – peuvent donc « appréhender » un mineur suspecté d’être l’auteur d’une telle infraction et agir à son encontre avec la force nécessaire à l’accomplissement de l’opération. Il semble au cas présent que les policiers intervenaient dans le cadre de ce texte, des faits de destructions (certaines dangereuses pour les personnes) se commettant ou venant de se commettre sur les lieux.

En revanche, la garde à vue consécutive des intéressés (qui ont vraisemblablement tous plus de 13 ans) ne pouvait éventuellement avoir lieu qu’en suivant des règles particulières, applicables soit aux mineurs de 16 ans exclusivement (examen médical impératif, impossibilité de prolonger de la mesure, etc.), soit aux mineurs de 18 ans en général (avis donné aux parents, assistance obligatoire d’un avocat, etc.).

Il est à noter que l’état d’arrestation des lycéens ne pouvait se prolonger indéfiniment, et qu’il ne devait donc durer – en prenant en considération le grand nombre des individus – que le temps nécessaire à l’opération, après quoi, le cas échéant, leur placement en garde à vue s’imposait. Mais des contrôles et vérifications d’identité étaient également susceptibles d’être pratiqués et, derechef, quelques dispositions spécifiques sont applicables aux mineurs à cet égard.

 Les lycéens pouvaientils être traités ainsi à l’occasion de leur arrestation ?

C’est le cœur de la polémique, car autant il est normal de pouvoir interpeller un mineur surpris en situation de flagrance, autant il apparaît logique de devoir traiter ce mineur avec plus d’égards que pour un majeur. Cependant, la loi ne prévoit rien de spécifique en la matière. L’emploi de menottes ou d’entraves, par exemple, est permis aux conditions générales de l’article 803, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, c’est-à-dire lorsque l’individu en cause est dangereux ou susceptible de prendre la fuite – précisons que l’alinéa 2nd de ce texte prescrit d’éviter que la scène ne soit photographiée ou filmée. Quant au « code de déontologie » de la police et de la gendarmerie nationales inséré dans le Code de la sécurité intérieur, il ne s’intéresse pas plus aux mineurs, mais comporte néanmoins des dispositions intéressantes : les policiers et gendarmes doivent faire preuve de « discernement » (article R434-10), être respectueux de la « dignité des personnes » (article R. 434-14) et s’assurer que toute personne appréhendée et placée sous leur contrôle est « préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant » (article R. 434-17). Ces dispositions (auxquelles sont accolées de possibles sanctions dictionnaires) pourront donc être étudiées.

En outre, les policiers sont tenus, dans l’exercice de leurs fonctions, de respecter la loi pénale, lorsqu’il n’y est pas dérogé à leur profit. A ce titre, ils doivent notamment s’abstenir d’adopter des comportements inutilement violents, étant observé que les violences peuvent n’être que « psychologiques » (article 222-14-3 du Code pénal) et qu’elles s’apprécient en tenant compte de l’âge et de la vulnérabilité de la personne qui en fait l’objet. Il n’est donc pas exclu que le recours à des méthodes d’interpellation très impressionnantes, engendrant un choc émotif puissant, soit pénalement qualifiable – le tout en examinant, au rebours, la nécessité de l’action des policiers au vu des circonstances et l’éventuel ordre hiérarchique reçu par tel ou tel des fonctionnaires, de nature à les exonérer de leur hypothétique responsabilité.

Des traités internationaux ne pourraientils pas s’en trouver contrariés ?

Effectivement, l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant énonce que les Etats parties à cette convention doivent accorder à l’enfant suspecté d’avoir commis une infraction le droit à un « traitement [] qui tienne compte de son âge » et prévoir à son égard des « procédures » qui leur soient propres. Mais il n’est pas exigé que des dispositions très précises soient adoptées, ni qu’il en existe de telles pour chaque acte de la procédure pénale ; il n’est donc guère critiquable que les modalités d’arrestation d’un mineur ne fassent pas, en droit français, l’objet de règles particulières expresses.

En revanche, la question du respect de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », peut être plus sérieusement examinée. Il prohibe en effet les brutalités policières (donner une gifle par exemple : Cour EDH,, 28 sept. 2015, Bouyid c/ Belgique, 28 sept. 2015) et la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué qu’elles s’apprécient au regard notamment de l’âge de l’individu mis en cause : il faut, lorsqu’on a affaire à un mineur, adopter un comportement qui soit adapté physiquement et moralement à son jeune âge (Cour EDH, 4 nov. 2010, Darraj c/ France).

Par Stéphane Detraz