S’inspirant du droit américain, le législateur français a doté les autorités judiciaires d’un nouvel outil pour négocier avec les personnes morales suspectées de faits de corruption, de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. Si cette nouvelle procédure de convention judiciaire d’intérêt public a été et est encore critiquée, elle permet de conclure des accords avec de grands groupes et d’obtenir le versement d’amendes conséquentes : la Convention conclue par le parquet national financier et des entreprises du groupe Google, et validée le 12 septembre 2019, prévoit ainsi le versement par Google d’une amende de 500 millions d’euros, en contrepartie de l’absence de poursuites pour fraude fiscale.

Décryptage par Jean-Baptiste Perrier, Professeur de droit à Aix-Marseille Université, Directeur de l’Institut de sciences pénales et de criminologie.

« L’idée du législateur était de transposer en droit français la procédure de deferred prosecution agreement américaine qui permet aux entreprises de conclure des accords avec les autorités américaines là où la justice française semblait impuissante à les poursuivre. »

Quelle est cette procédure de « transaction » conclue par Google et les autorités judiciaires ?

Cette transaction est une Convention judiciaire d’intérêt public, créée par la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, initialement pour lutter contre les faits de corruption internationale commis par des personnes morales. Cette procédure très particulière est également applicable aux faits de blanchiment de fraude fiscale et, depuis la loi du 23 octobre 2018, aux faits de fraude fiscale, faits qui étaient reprochés aux sociétés Google France et Google Ireland Limited. L’idée du législateur était de transposer en droit français la procédure de deferred prosecution agreement américaine, une procédure très efficace puisque certaines multinationales ont pu conclure des accords avec les autorités américaines là où la justice française semblait impuissante à les poursuivre.

Concrètement, au cours de l’enquête (article 41-1-2 du Code de procédure pénale) mais aussi au cours d’une information judiciaire (art. 180-2 du même Code), le procureur peut proposer à une personne morale une telle convention, prévoyant le versement d’une amende et, le cas échéant, la mise en œuvre d’un programme de conformité, ce que l’on a appelé la compliance à la française. Si l’entreprise concernée (car il s’agit bien d’une entreprise) accepte la proposition du procureur, la « transaction » ainsi conclue doit être validée par le président du tribunal de grande instance (qui deviendra bientôt le tribunal judiciaire) au cours d’une audience publique ; les textes précisent sur ce point que la décision du juge n’a pas les effets d’un jugement de condamnation et que la convention ne vaut pas reconnaissance de culpabilité (v. déjà « 3 questions à Antoine Gaudemet sur la convention judiciaire d’intérêt public », Une fois validée et à l’expiration du délai de rétractation de dix jours, la convention peut enfin être exécutée et l’amende peut donc être versée.

Cette convention judiciaire d’intérêt public est-elle fréquemment utilisée ?

Depuis son entrée en vigueur, la Convention judiciaire d’intérêt public n’a été que peu utilisée : la convention conclue avec Google n’est que la 7ème, alors que le texte est applicable depuis plus de deux ans. Cela étant, l’objectif n’était pas de conclure de nombreux accords. Au contraire, compte tenu de son champ d’application (peu d’infractions visées) et du fait qu’elle ne peut être proposée qu’aux personnes morales, on devine qu’il s’agit d’un outil très spécifique ; les procureurs ne le mettent en œuvre que lorsqu’il est utile, pour des situations à forts enjeux mais des faits parfois difficiles à prouver. On remarque d’ailleurs que 4 des 7 conventions judiciaires conclues l’ont été par le procureur de la République financier, ce qui témoigne de son utilisation pour des affaires importantes.

Peu utilisée, mais très rentable tout de même. Les montants d’amende qui ont ainsi été acceptés soulignent l’utilité de la procédure : on se souvient de l’amende de 300 millions d’euros acceptée par HSBC en 2017, des 250 millions acceptés par la Société générale en 2018, et la même somme devait être versée aux autorités américaines, ce qui constituait des montants records avant la décision rendue dans l’affaire UBS et les 3,7 milliards prononcés (et on rappelle que la banque avait refusé la convention judiciaire d’intérêt public proposée…).

À ces précédents records, on ajoute désormais les 500 millions d’euros d’amende que Google a accepté de verser, en sus d’un accord avec les autorités fiscales prévoyant un montant similaire au titre des pénalités fiscales, soit près d’un milliard au total.

Quels sont les intérêts d’une telle procédure, pour les autorités comme pour les entreprises ?

Pour les autorités, le premier intérêt qui vient à l’esprit est celui des finances publiques (v. déjà Didier Rebut, « La convention judiciaire d’intérêt public au service du budget de l’État »,), les communiqués de presse ne manquant pas de souligner l’importance de la somme acceptée qui « abondera le budget général de l’État français » (Communiqué de presse du procureur de la République financier, 12 sept. 2019)

Mais la convention judiciaire d’intérêt public peut aussi permettre d’éviter des difficultés de preuve de ces infractions souvent dissimulées, d’éviter l’aléa de la décision judiciaire face aux arguments soulevés par la défense (et s’agissant de l’affaire Google, la jurisprudence administrative n’allait pas vraiment dans le sens du procureur de la République financier), ou encore la longueur de la procédure, qui peut durer plusieurs années, et ce, en profitant de la coopération de l’entreprise concernée. On comprend donc qu’une réflexion soit en cours pour étendre le domaine de la convention judiciaire d’intérêt public à d’autres infractions, pourquoi pas pour les atteintes à l’environnement.

S’agissant de la personne morale, le principal intérêt est évident : il s’agit d’éviter la décision de condamnation. Dans certains cas, une telle décision pourrait empêcher l’entreprise concernée de candidater à des marchés publics, voire entraînerait une perte du droit d’exploitation, ce qui signifierait une mort économique. S’agissant du cas plus spécifique de Google, il s’agissait aussi d’éviter une décision judiciaire qui aurait pu reconnaître l’existence d’un établissement stable, ce qui aurait été extrêmement préjudiciable à la stratégie fiscale du groupe. On devine ainsi que l’entreprise accepte de payer une amende, certes d’un montant très important, ce qui satisfait les finances publiques, mais cela reste pour elle plus intéressant que le manque à gagner qui aurait pu résulter d’une éventuelle condamnation.

Un accord pragmatique donc, tant du côté des autorités que du côté de l’entreprise, et on comprend mieux les critiques faites. Il faut toutefois reconnaître une vertu à ces accords, c’est d’avoir été conclus là où la justice n’aurait peut-être pas réussi à être rendue.

Pour aller plus loin :

Par Jean-Baptiste Perrier.