Le lundi 7 octobre s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Paris, le volet non politique de l’affaire Karachi. Six prévenus vont comparaître : l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine mais aussi les anciens plus proches collaborateurs des deux politiques (Nicolas Bazire, l’ancien directeur de cabinet d’Édouard Balladur à Matignon et Renaud Donnedieu de Vabres, proche conseiller de l’ex-ministre de la Défense). L’ancien Premier ministre français, Edouard Balladur (90 ans) et son ex-ministre François Léotard (77 ans), quant à eux seront bien jugés par la Cour de justice de la République (CJR) pour le financement présumé occulte de la campagne présidentielle de 1995.

Décryptage par Jacques-Henri Robert, Expert du Club des juristes, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de Criminologie de l’Université de Paris II de 1994 à 2008.

« Les prévenus ne sont pas jugés pour avoir, indirectement, provoqué l’assassinat, à Karachi, mais pour abus de biens sociaux »

 En quoi consiste l’affaire Karachi ? Qui sont les personnes mises en cause ?

La rétrocommission est une somme que l’intermédiaire, entre un vendeur et un acheteur, accepte contractuellement de prélever sur sa commission pour la payer au représentant de la société venderesse ou telle autre personne par lui désigné. Le paiement de cette somme grève en définitive le passif de la personne morale du vendeur et entre dans le patrimoine de son représentant infidèle ou d’un autre bénéficiaire. C’est pourquoi la pratique de la rétrocommission est juridiquement qualifiée d’abus de biens sociaux qui est une variété de l’abus de confiance.

Dans l’affaire Karachi, la société victime de cette pratique fut la Direction nationale des constructions navales à l’occasion de la fabrication et de la vente de frégates à l’Arabie saoudite et de sous-marins au Pakistan. Son dirigeant a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour abus de biens sociaux et, en même temps que lui, pour complicité de ce délit, plusieurs hauts fonctionnaires et intermédiaires.

Ils ne sont pas jugés pour avoir, indirectement, provoqué l’assassinat, à Karachi, de plusieurs salariés de la Direction.

Edouard Balladur et François Léotard sont soupçonnés d’être complices de l’abus de biens sociaux au motif qu’ils auraient favorisé la conclusion du contrat de rétrocommission ; l’ancien premier ministre est en outre poursuivi pour recel de cette somme qui aurait servi à financer sa campagne électorale lors de l’élection présidentielle de 1995. Mais, à raison des fonctions ministérielles qu’ils exerçaient à l’époque des faits, ils sont justiciables de la Cour de Justice de la République et non du tribunal correctionnel.

Que risquent les prévenus ?

A l’époque des faits, l’abus de biens sociaux était prévu par l’article 437, 3° la loi du 24 juillet 1966, devenu l’article L. 246-2, 3° du Code de commerce. Il est puni de un à cinq ans d’emprisonnement et une amende 60 000 francs (9 000 euros). Le recel, selon l’article 460 de l’ancien Code pénal, applicable à l’espèce, faisait encourir un emprisonnement de cinq ans et une amende de 2 500 000 francs (375 0000 euros), laquelle peut être élevée jusqu’à la moitié de la valeur des objets recelés.

Pourquoi  Édouard Balladur et François Léotard sont-ils jugés devant la Cour de justice de la République et non par le tribunal correctionnel comme les autres ?

Pour des infractions qu’ils auraient commises « dans l’exercice de leurs fonctions », le Premier ministre et les autres ministres sont jugés, sur le fond, selon le droit commun, mais l’action publique est exercée devant une juridiction spéciale, la Cour de justice de la République, composée conformément à l’article 68-2 de la Constitution de quinze juges : « Douze parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour ».Le cas d’Edouard Balladur et François Léotard, est semblable à celui de Jean-Jacques Urvoas dont l’affaire a été commentée dans notre blog du 1er octobre, par Didier Rebut.

Pour aller plus loin :

Par Jacques-Henri Robert.