Depuis 2013, des juges enquêtent sur les accusations qui furent formulées par l’intermédiaire Ziad Takieddine et des ex-dirigeants libyens sur des supposés financements libyens de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy de 2007. Ce dernier a été mis en examen le 21 mars 2018 pour « corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens » avec l’ex-secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant et l’ancien trésorier, Eric Woerth. Saisie par Nicolas Sarkozy, la Cour d’Appel a examiné la demande d’annulation de sa mise en examen ce 17 octobre 2019.

Décryptage par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences à l’Université du Mans.

« Dans l’hypothèse où la Cour d’appel rejetterait la requête en annulation de Nicolas Sarkozy, ce dernier pourrait encore former un pourvoi en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation »

De quelles accusations fait-il l’objet dans cette affaire ?

Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir détourné des fonds libyens pour financer sa campagne présidentielle de 2007. L’enquête ouverte en 2013 a conduit à l’ouverture d’une information et in fine à la mise en examen de Nicolas Sarkozy le 21 mars 2018. Cette mise en examen repose sur l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’il ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission de trois infractions.

Tout d’abord, il est mis en examen pour corruption passive au sens de l’article 432-11 du Code pénal, c’est-à-dire le fait, par une personne exerçant une fonction publique de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat. Précisons que les faits s’étant déroulés entre 2005 et 2007, les peines encourues à l’époque sont de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (l’amende de 1000 000 euros et la peine d’inéligibilité renforcée datant de 2013).

Ensuite, il est mis en examen pour recel de fonds publics « libyens ».  Le recel est une infraction de conséquence qui est définie et réprimée par l’article 321-1 du Code pénal. Il existe deux formes de recel : d’une part, le recel détention qui consiste à détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ; d’autre part, le recel-profit qui réside dans le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit.  Au vu des faits décrits dans cette affaire, il semble qu’il s’agisse d’un recel profit puisqu’il est reproché à Nicolas Sarkozy d’avoir tiré profit de fonds libyens pour financer sa campagne présidentielle.

L’infraction d’origine serait donc un détournement de fonds publics qui consiste pour une personne exerçant une fonction publique à détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission (art. 432-15 Code pénal). Les peines pour ce recel s’élèvent à 5 ans d’emprisonnement et 375000 euros d’amende.Enfin, Nicolas Sarkozy est enfin mis en examen du chef de financement illégal de campagne électorale. Le Code électoral punit ainsi (à l’époque des faits) d’une amende de 3750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui aura accepté des fonds en violation des dispositions de l’article L. 52-8 ou L. 308-1 du Code précité.

 

Sur quels fondements Nicolas Sarkozy demande-t-il l’annulation de sa mise en examen ?

Lors de son audition par les juges d’instruction l’ayant mis en examen le 4 juin 2019, Nicolas Sarkozy a refusé de répondre aux différentes questions qui lui ont été posées mettant en avant les recours déposés par son avocat. En effet, Nicolas Sarkozy a formé une requête en annulation de sa mise en examen devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. Il découle du statut de mis en examen l’obligation pour le juge d’informer la personne concernée de son droit de formuler des requêtes en annulation sur le fondement des articles 81, 82-1, 82-2, 156 et 173 durant le déroulement de l’information.

En premier lieu, Nicolas Sarkozy fait usage de cette prérogative en mettant en avant l’incompétence des juges d’instruction dans cette affaire. En effet, selon lui, il est mis en examen pour avoir abusé de ses fonctions au service d’un État étranger. Étant ministre de l’Intérieur à l’époque des faits, la seule juridiction compétente dans cette affaire serait la Cour de Justice de la République et plus précisément la commission des requêtes qui  ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de cette juridiction d’exception.
En effet, selon l’article 68-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, sont jugés par la Cour de justice de la République les membres du Gouvernement pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou de délits au moment où ils ont été commis. Toute la difficulté dans cette affaire n’est pas de savoir si Nicolas Sarkozy a bien la qualité de membre du Gouvernement mais bien d’identifier si les actes qui lui sont reprochés ont été commis dans l’exercice de ses fonctions de ministre de l’Intérieur (à titre de comparaison, voir l’affaire Urvoas).

En second lieu, on peut imaginer que Nicolas Sarkozy et son avocat mettront en avant l’ancienneté des faits qui pourraient être prescrits. En effet, l’affaire de ce financement remonte  entre 2005 et 2007 alors que l’enquête n’a commencé qu’en 2013. Or, les délais de prescription pour les délits (antérieurement à la réforme de 2017) étaient de trois ans ce qui revient à considérer que les faits sont prescrits depuis 2010.  Toutefois, il est possible de considérer que les faits ne seraient pas prescrits pour deux motifs.  Premièrement, il s’agit d’infractions occultes ou dissimulées pour lesquelles, selon la jurisprudence de l’époque, le point de départ du délai est alors reporté au jour où les infractions sont apparues et ont pu être constatées dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique. Deuxièmement, en raison du lien de connexité entre cette affaire libyenne et le dossier Bettencourt qui portent sur le financement de la même campagne présidentielle, il serait possible d’y voir des interruptions répétées du délai de prescription de l’action publique.

Qu’a décidé la Cour d’appel ?

Il était prévu à l’origine que la chambre de l’instruction statue sur la requête en nullité de Nicolas Sarkozy (mais également sur celles des autres mis en causes) ce jeudi 17 octobre.
Cependant, la Cour d’appel a décidé de renvoyer au 19 mars 2020 l’examen de ces différentes demandes. L’examen de la recevabilité de l’ONG anticorruption Sherpa en qualité de partie civile sera quant à elle examinée plus tôt, soit le 13 février prochain.

Concernant Nicolas Sarkozy, dans l’hypothèse où la chambre de l’instruction déciderait d’annuler sa mise en examen, il serait considéré comme témoin assisté à compter de son interrogatoire de première comparution jusqu’à l’issue de l’information. Il reviendra alors à la chambre de l’instruction de fixer l’étendue de la nullité.

Dans l’hypothèse où la Cour d’appel rejetterait la requête en annulation de Nicolas Sarkozy, ce dernier pourrait encore former un pourvoi en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation sur le fondement de l’article 567 du Code de procédure pénale. En effet, les arrêts de la chambre de l’instruction peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief.

Pour aller plus loin :

Par Jean-Marie Brigant.