Le Ministère public a requis le 1er avril, cinq ans de prison ferme contre Bernard Tapie ainsi que la confiscation de l’ensemble de ses biens pour « escroquerie » et « détournement de fonds publics », dans une affaire d’arbitrage controversée qui lui avait octroyé 403 millions d’euros en 2008.
Les représentants du Parquet ont estimé que Bernard Tapie serait « co-organisateur » et « bénéficiaire principal » de l’arbitrage truqué.

Décryptage par Stéphane Detraz, enseignant-chercheur à Université Paris Sud (Paris Saclay), faculté Jean Monnet, IDEP.

« Le procureur de la République a requis le prononcé d’une peine d’emprisonnement de cinq ans sans sursis. »

Que reproche-t-on à Bernard Tapie ?

Bernard Tapie (lui personnellement, son épouse, son groupe de sociétés) a bénéficié en 2008 d’une sentence arbitrale lui allouant la somme de 403 millions à titre de compensation du préjudice subi dans l’affaire de la cession d’Adidas l’opposant au Crédit Lyonnais, alors banque publique (et ce après la vaine conduite d’une procédure judiciaire à ce sujet). Rappelons que, dans ce cadre, son seul préjudice moral a été indemnisé à hauteur de 45 millions mais la sentence arbitrale a ultérieurement été invalidée par la Cour d’appel de Paris, en raison des liens préexistants entre l’avocat de l’homme d’affaires (Maurice Lantourne) et l’un des juges arbitres (Pierre Estoup). La première chambre civile de la Cour de cassation, par une décision du 30 juin 2016, a approuvé les juges d’appel d’avoir statué en ce sens, aux motifs que « l’occultation par un arbitre des circonstances susceptibles de provoquer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable quant à son impartialité et à son indépendance, dans le but de favoriser l’une des parties, constitue une fraude rendant possible la rétractation de la sentence arbitrale dès lors que cette décision a été surprise par le concert frauduleux existant entre l’arbitre et cette partie ou les conseils de celle-ci ».

Les accointances susmentionnées ont par ailleurs entraîné l’engagement de poursuites pénales à l’encontre – notamment – de Bernard Tapie, suspecté d’avoir cherché en connaissance de cause à bénéficier d’une sentence arbitrale frauduleuse, de Pierre Estoup, suspecté d’avoir illégalement œuvré en faveur de son client, Maurice Lantourne, suspecté d’avoir indument favorisé l’homme d’affaires, et Stéphane Richard (actuel dirigeant d’Orange), suspecté, en son ancienne qualité de directeur de cabinet du ministre des Finances de l’époque (Christine Lagarde), d’avoir à dessein permis que le différend soit résolu par une juridiction arbitrale orientée et non par une juridiction étatique indépendante et impartiale.

Le tribunal correctionnel de Paris rendra son jugement le 9 juillet. Que risque Bernard Tapie ?

Les qualifications pénales au fondement des poursuites sont celles d’escroquerie en bande organisée et de détournement de fonds publics. Au titre du premier délit (articles 313-1 et 313-2 du Code pénal), Bernard Tapie encourt un emprisonnement de dix ans et une amende d’1 000 000 euros. La seconde infraction (article 432-15 du Code pénal) rend quant à elle applicables les peines de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Le tout sans préjudice, d’une part, des peines complémentaires légalement prévues et, d’autre part, des dommages-intérêts réclamés par l’État et le Consortium de réalisation (CDR (le consortium chargé de gérer les actifs douteux du Crédit lyonnais)) et s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros (l’homme d’affaires ayant déjà été condamné à rembourser les sommes perçues).

Le procureur de la République a requis le prononcé d’une peine d’emprisonnement de cinq ans sans sursis. Le tribunal correctionnel n’est naturellement pas tenu par ces quanta.

L’on rappellera que, dans l’un des rameaux de l’affaire, Christine Lagarde, pour sa part, a déjà été reconnue coupable de négligence ayant permis un détournement de fonds publics (délit prévu par l’article 432-16 du Code pénal) par un arrêt de la Cour de justice de la République du 19 décembre 2016. Cette dernière a en effet relevé les manquements dont l’ex-ministre avait fait preuve, non pas en acceptant que le différend fût confié à une juridiction arbitrale, mais en omettant d’attaquer la sentence rendue, eu égard entre autres éléments au montant des dommages-intérêts correspondant au préjudice moral et au fait qu’elle avait reconnu elle-même ne pas avoir admis le principe d’une telle indemnisation au moment d’autoriser le recours à la procédure d’arbitrage. Mais elle a été dispensée de peine en raison notamment de « sa personnalité et sa réputation nationale et internationale ».

Quels sont les arguments de la défense de Bernard Tapie ?

Ils sont de deux ordres. Sur le plan factuel, tout d’abord, les avocats de Bernard Tapie estiment qu’il n’existe pas de preuve matérielle accréditant l’idée de l’escroquerie et du détournement de fonds publics, et qu’au contraire leur client aurait manifesté sa bonne foi en acceptant notamment que le montant des sommes qui lui seraient éventuellement octroyées par la juridiction arbitrale soit affecté d’un plafond, sans plancher.

Ensuite, des arguments de nature juridique sont avancés. Quant au délit de détournement de fonds publics, d’une part, il est soutenu que manqueraient – au regard de la définition qu’en donne l’article 132-15 du Code pénal – à la fois l’existence de fonds « publics » et celle d’un détournement de la part d’une « personne publique ». Quant au délit d’escroquerie, d’autre part, feraient défaut – au sens de l’article 313-1 du Code pénal – les « manœuvres frauduleuses » déterminantes de la remise de fonds. Il est défendu à ce sujet que l’influence subreptice et néfaste, sur les autres juges arbitres, qu’aurait exercée Pierre Estoup n’est pas étayée, eu égard aux compétences juridiques de ces derniers : Pierre Mazaud a été président du Conseil constitutionnel, a présidé la commission des lois et a été magistrat ; Jean-Denis Bredin, quant à lui, est un spécialiste de droit civil et de droit commercial, avocat et agrégé des universités.

Pour aller plus loin :

Par Stéphane Detraz.